Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/380

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Saint-Évremond, mémoratif de sa promesse, écrivit à M. de Créqui cette Lettre sur la paix des Pyrénées, qui nous est restée : monument remarquable de la diversité des appréciations humaines à l’égard des grands événements de l’histoire.

Le traité des Pyrénées a été jugé, par nous, modernes, comme habile et avantageux, parce qu’il a eu pour résultat immédiat un agrandissement de territoire, qui a fortifié et complété, vers les Pyrénées, la frontière de la France ; et parce qu’on y a conclu le mariage du roi, qui promettait, dans l’avenir, un accroissement de puissance à la monarchie françoise. Mais les contemporains, ou du moins la bonne part d’entre eux, ne l’ont pas jugé du même point de vue. La noblesse francoise, accoutumée à guerroyer, a reçu la paix avec un sentiment de regret très-prononcé ; elle ne voyoit pas de raison nationale de finir la guerre. La France était victorieuse en Flandre et en Catalogne ; l’Espagne étoit ruinée et avoit perdu tout prestige militaire ; l’opinion générale étoit qu’il falloit aller jusqu’au bout, et profiter d’une si grande supériorité, pour s’assurer au moins les Pays-Bas espagnols, qu’on avoit manqué d’acquérir à la paix de Westphalie. La nation, remise de ses misères du temps de la Fronde, ne désiroit donc pas la paix, et des hommes aussi considérables que M. de Turenne partageoient ce sentiment. Telle étoit aussi l’opinion de Saint-Évremond. Mais le cardinal Mazarin voyoit les choses autrement. On lui avoit reproché d’avoir perdu la partie, par une inflexible exigence, à Munster ; et il craignit de s’attirer une seconde fois la même accusation. Avec onze ans de plus qu’à Munster, il sentoit dé-