son temps. Voilà des qualités nouvelles d’intelligence et de goût, que l’exil a développées chez Saint-Évremond, et qui en ont fait, de plus en plus, un esprit à part, dans notre histoire littéraire. Aussi, quoique perdu pour le commun, il a excité peut-être une plus grande admiration auprès du petit monde d’hommes indépendants et délicats qui ont pu l’apprécier. Il régnera toujours dans le salon de la rue des Tournelles ; et vers la fin du long règne de Louis XIV, au crépuscule de la réaction du dix-huitième siècle, on s’arrachera de nouveau les petits ouvrages de Saint-Évremond. La correspondance de Mathieu Marais nous est témoin de cette recrudescence de faveur : « J’ai lu, dit cet avocat chroniqueur à Mme de Mérignac, la Vie de Saint-Évremond, par Des Maizeaux (1709), qui m’a paru mauvaise, froide, allongée. Ce n’est pas là l’homme qu’il nous faut, pour parler du plus grand homme du monde. »
À ce petit nombre de lecteurs, Saint-Évremond offroit le charme d’une liberté de manière et de pensée qui sembloit avoir disparu de la prose françoise depuis 1660, pour faire place, sans doute, à d’autres grandes qualités, mais qui accusoient trop, peut-être, la règle et la contrainte. Cette liberté, restée au fond des cœurs d’élite, n’avoit plus alors que Saint-Évremond pour interprète. Puis, quand elle fut dépassée ; quand l’esprit eut porté plus loin sa passion, ses efforts, ses facultés, une sorte de nouvel exil est venu frapper Saint-Évremond, dont la modération ne répondoit plus à l’entraînement général. C’est surtout la poésie légère de notre auteur que Voltaire poursuit ; c’est là ce qui le blesse