Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le grand favori d’Auguste, l’homme qui plaisoit, et à qui les gens polis et spirituels tâchoient de plaire. N’y a-t-il pas apparence que son goût régloit celui des autres ? qu’on affectoit de se donner son tour, et de prendre autant qu’on pouvoit son caractère ?

« Auguste lui-même ne nous laisse pas une grande opinion de sa latinité. Ce que nous voyons de Térence, ce qu’on disoit à Rome de la politesse de Scipion et de Lélius, ce que nous avons de César, ce que nous avons de Cicéron : la plainte que fait ce dernier sur la perte de ce qu’il appelle sales, lepores, venustas, urbanitas, amœnitas, festivitas, jucunditas : tout cela me fait croire, après y avoir mieux pensé, qu’il faut chercher en d’autres temps que celui d’Auguste, le bon et agréable esprit des Romains, aussi bien que les grâces pures et naturelles de leur langue. »

Tout est traité, par Saint-Évremond, de ce grand air qu’on vient de voir : la philosophie, la religion, la morale, la littérature. Il n’est point d’écrivain du dix-septième siècle chez qui l’esprit critique se montre avec cette liberté, cette hauteur, cette universalité. Ce grand seigneur écrivant pour son plaisir est le premier critique de profession qui se produise en notre histoire littéraire : j’entends le critique tel qu’on le rencontre dans le siècle suivant et dans le nôtre. Saint-Évremond devoit cette heureuse disposition de son talent au scepticisme même qu’il professoit, et qui l’avoit sollicité à scruter la raison des choses, sur toute l’échelle des connoissances. Moins téméraire que Bayle, il lui ressemble par les qualités critiques, autant du moins qu’un phi-