losophe de salon peut ressembler à un philosophe d’école. Si donc l’exil isole Saint-Évremond du royaume de Louis XIV, il sera redevable à son infortune même d’une étendue d’esprit, d’une fermeté de vue, et d’une émancipation de jugement, dont ses amis, restés sur le sol natal, n’oseront faire montre, tout en pensant comme lui. Saint-Évremond réfléchit, en effet, les idées qui furent comprimées, en France, pendant les cinquante dernières années du règne de Louis XIV.
Il y a du païen Horace dans le chrétien Saint-Évremond : tous deux épicuriens de bonne compagnie, ils ont profondément exercé leur esprit à la philosophie des choses de la vie ; et leur réflexion tourne constamment à la grâce, à l’indulgence, à la bonté : avec plus de verve chez Horace, avec plus de politesse chez Saint-Évremond. Chez l’un, comme chez l’autre, la pensée philosophique s’échappe et s’exprime en cette langue délicate qui la rend digne des honnêtes gens. Quel esprit aimable que celui de l’homme qui a écrit ces lignes ! « Dans un faux sujet d’aimer, les sentiments d’amitié peuvent s’entretenir, par la seule douceur de leur agrément ; dans un vrai sujet de haïr, on doit se défaire de ceux de la haine, par le seul intérêt de son repos… L’état de la vertu n’est pas un état sans peine. On y souffre une contestation éternelle de l’inclination et du devoir. Je puis dire de moi une chose extraordinaire, c’est que je n’ai presque jamais senti ce combat intérieur de la passion et de la raison : la passion ne s’opposoit point à ce que j’avois envie de faire par devoir ; et la raison consentoit volontiers à ce que