Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/452

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commandé de vous tuer, je vous aurois enfoncé ce couteau dans le cœur. »

Le Père, surpris du discours, et plus effrayé du transport, eut recours à l’oraison mentale, et pria Dieu secrètement qu’il le délivrât du danger où il se trouvoit ; mais ne se fiant pas tout à fait a la prière, il s’éloignoit insensiblement du maréchal, par un mouvement de fesses imperceptible. Le maréchal le suivoit par un autre tout semblable ; et, à lui voir le couteau toujours levé, on eût dit qu’il alloit mettre son ordre à exécution.

La malignité de la nature me fit prendre plaisir, quelque temps, aux frayeurs de la Révérence : mais, craignant à la fin que le maréchal, dans son transport, ne rendît funeste ce qui n’avoit été que plaisant, je le fis souvenir que madame de Montbazon étoit morte[1], et lui dis qu’heureusement le P. Canaye n’avoit rien à craindre d’une personne qui n’étoit plus.

« Dieu fait tout pour le mieux, reprit le ma-

  1. La célèbre et belle duchesse de Montbazon étoit encore en vie en 1654 ; elle ne mourut qu’en 1657. Saint-Évremond ne l’ignoroit pas ; mais il a cru, dit Des Maizeaux, qu’on lui pardonneroit aisément cet anachronisme, si on pensoit qu’il étoit difficile de tirer autrement le P. Canaye de la frayeur qui l’avoit saisi. Bayle avoit déjà fait cette remarque, dans les Nouvelles de la république des lettres, décembre 1686, art. IV. Je croirois plutôt que ce morceau piquant a été ajouté en 1662.