Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/493

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Déjà les aveugles pensoient voir la lumière qu’ils ne voyoient pas : déjà les sourds s’imaginoient entendre, et n’entendoient point : déjà les boiteux croyoient aller droit, et les perclus pensoient retrouver le premier usage de leurs membres. Une forte idée de la santé avoit fait oublier aux malades leurs maladies ; et l’imagination, qui n’agissoit pas moins dans les curieux que dans les malades, faisoit aux uns une fausse vue de l’envie de voir, comme aux autres une fausse guérison de l’envie de guérir. Tel étoit le pouvoir de l’Irlandois sur les esprits ; telle étoit la force des esprits sur les sens. Ainsi l’on ne parloit que de prodiges, et ces prodiges étoient appuyés d’une si grande autorité, que la multitude étonnée les recevoit avec soumission, pendant que quelques gens éclairés n’osoient les rejetter par connoissance. La connoissance timide et assujettie respectoit l’erreur impérieuse et autorisée : l’âme étoit faible, où l’entendement étoit sain ; et ceux qui voyoient le mieux, en ces cures imaginaires, n’osoient déclarer leurs sentiments, parmi un peuple prévenu ou enchanté.

Tel étoit le triomphe de l’Irlandois, quand notre couple fendit la presse, courageusement, pour lui venir faire insulte, dans toute sa majesté. « N’as-tu point de honte, lui dit la femme, d’abuser le peuple simple et crédule, comme