Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/497

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et d’avoir plus à me plaindre de la docilité de mes mouvements, qu’à m’en réjouir. En effet, j’attrïbuerois mal à propos à ma raison la force de les soumettre, s’ils n’ont pas celle de se soulever. Quelque sagesse dont on se vante, en l’âge où je suis, il est malaisé de connoître si les passions qu’on ne ressent plus sont éteintes ou assujetties.

Quoi qu’il en soit, dès lors que nos sens ne sont plus touchés des objets, et que l’âme n’est plus émue par l’impression qu’ils font sur elle, ce n’est proprement chez nous qu’indolence : mais l’indolence n’est pas sans douceur, et songer qu’on ne souffre point de mal, est assez à un homme raisonnable, pour se faire de la joie. Il n’est pas toujours besoin de la jouissance des plaisirs. Si on fait un bon usage de la privation des douleurs, on rend sa condition assez heureuse.

Quand il m’est arrivé des malheurs, je m’y suis trouvé naturellement assez peu sensible, sans mêler à cette heureuse disposition le dessein d’être constant ; car la constance n’est qu’une plus longue attention à nos maux. Elle paroît la plus belle vertu du monde, à ceux qui n’ont rien à souffrir ; et elle est véritablement comme une nouvelle gêne, à ceux qui souffrent. Les esprits s’aigrissent à résister ; et, au lieu de se défaire de leur première douleur, ils en forment