Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/534

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distribution des bienfaits, que le plus sûr est de s’en tenir toujours à la justice, consultant la raison, également sur les gens à qui l’on donne, et sur ce que l’on peut donner. Mais, parmi ceux qui ont dessein même d’être justes, combien y en a-t-il qui ne suivent que l’erreur d’un faux naturel, à récompenser et à punir ? Quand on se rend aux insinuations, quand on se laisse gagner aux complaisances, l’amour propre nous fait voir, comme une justice, la profusion que nous faisons, envers ceux qui nous flattent ; et nous récompensons les mesures artificieuses dont on se sert, pour tromper notre jugement, et surprendre le faible de notre volonté.

Ceux-là se trompent, plus facilement encore, qui font, de l’austérité de leur naturel, une inclination à la justice. L’envie de punir est ingénieuse en eux, à trouver du mal, en toutes choses. Les plaisirs leur sont des vices, les erreurs des crimes. Il faudroit se défaire de l’humanité, pour se mettre à couvert de leur rigueur. Trompés par une fausse opinion de vertu, ils croient châtier un criminel, quand ils se plaisent à tourmenter un misérable.

Si la justice ordonne un grand châtiment (ce qui est nécessaire quelquefois), elle le proportionne à un grand crime ; mais elle n’est ni sévère, ni rigoureuse. La sévérité et la rigueur