Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/587

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cure, avoue aujourd’hui qu’après avoir philosophé cinquante ans, il doute des choses qu’il avait cru les plus assurées4. Tous les objets ont des faces différentes, et l’esprit, qui est dans un mouvement continuel, les envisage différemment, selon qu’il se tourne ; en sorte que nous n’avons, pour ainsi parler, que de nouveaux aspects, pensant avoir de nouvelles connoissances. D’ailleurs, l’âge apporte de grands changements, dans notre humeur, et du changement de l’humeur se forme bien souvent celui des opinions. Ajoutez, que les plaisirs des sens font mépriser, quelquefois, les satisfactions de l’esprit, comme trop sèches et trop nues ; et que les satisfactions de l’esprit, délicates et raffinées, font mépriser, à leur tour, les voluptés des sens, comme grossières. Ainsi, l’on ne doit pas s’étonner que, dans une si grande diversité de vues, et de mouvements, Épicure, qui a plus écrit qu’aucun philosophe, ait traité


4. Voyez les Doutes de Bernier, imprimés d’abord séparément, et ensuite insérés dans la seconde édition de l’Abrégé de la philosophie de Gassendi. Lyon, 1684, tome II, p. 379. Bernier dédia ces Doutes à madame de la Sablière, et, dans sa dédicace, on trouve ce même aveu que reproduit ici Saint-Évremond : « Il y a, dit-il, trente à quarante ans que je philosophe, fort persuadé de certaines choses, et voilà que je commence à en douter : c’est bien pis, il y en a dont je ne doute plus, désespéré de pouvoir jamais y rien comprendre. »