Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/59

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gnité. Saint-Évremond étoit, certes, partisan de la réforme de la langue, et il y prit une part considérable13 ; mais il préféroit la discipline de l’opinion à celle de l’autorité ; et la médiocrité prétentieuse de la plupart des membres d’une société littéraire qui se donnoit un si grand pouvoir, lui paroissoit aussi peu supportable, que l’entêtement sénile de Mlle de Gournay pour ses vieux mots. La forme seule du travail de l’académie lui sembloit prêter à raillerie ; et la raillerie étant fort à la mode en ce temps-là, il ne s’en fit pas faute.

La Préciosité rendit alors de grands services. Toute négligence de langage fut réputée de mauvais goût. Il y eut un soin de la parole, égal à celui de la propreté. Mais il y eut aussi une vanité générale de se distinguer par le discours, et de s’écarter de l’habitude commune ; et l’influence des salons tourna facilement les esprits au raffinement et à la frivolité, au lieu de les maintenir dans la justesse et le bon goût, qui sont la première des distinctions. Les deux voies se touchoient ; celle de l’afféterie prévalut quelquefois, par la crainte puérile qu’on eut de suivre le chemin de tout le monde. L’attrait de la nouveauté, piquant pour les salons, servit donc la cause de la réforme, mais au risque de la jeter dans le faux. Il y eut un entraînement d’affectation qui emporta les esprits les mieux doués (le jeune Racine, qui débutoit par ces vers adressés à l’Aurore : Et toi, fille du Jour, qui nais avant ton père ! etc.) ; et, contre ce courant, les esprits sen-


13. Voy. ce qu’il dit lui-même, de l’enfance de notre langue, infra.