Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/138

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licates, connut admirablement le génie de son temps, et n’eut pas de peine à changer un assujettissement volontaire aux chefs de parti, en véritable sujétion. Tibère, plein de ruses et de finesses, mais d’un faux discernement, se méprit à connoître la disposition des esprits. Il crut avoir affaire à ces vieux Romains amoureux de la liberté, et incapables de souffrir aucune domination : cependant l’inclination générale alloit à servir ; les moins soumis étoient disposés à l’obéissance. Ce mécompte lui fit prendre des précautions cruelles contre des gens qu’il redouta mal à propos ; car il est à remarquer qu’un prince si soupçonneux n’eût jamais à craindre que Séjan, qui lui faisoit craindre tous les autres. Avec ces fausses mesures, la cruauté augmentoit tous les jours ; et, comme celui qui offense est le premier à haïr, les Romains lui devinrent odieux par le mal qu’il leur faisoit. Enfin, il agit ouvertement, et les traita comme ses ennemis, parce qu’il leur avoit donné sujet de l’être.

L’esprit de docilité qui régnoit alors, faisoit endurer paisiblement la tyrannie. On souffrit la brutalité de Caligule avec une soumission pareille ; car sa mort est un fait particulier, où le Sénat, le peuple, ni les légions n’eurent aucune part. On souffrit la stupidité dangereuse de Claudius, et l’insolence de Messaline.