J’ai eu dessein autrefois de faire une tragédie, et ce qui me faisoit le plus peine, c’étoit de me défendre d’un sentiment secret d’amour propre, qui nous laisse renoncer difficilement à nos qualités, pour prendre celles des autres. Il me souvient que je formois mon caractère, sans y penser, et que le héros descendoit insensiblement au peu de mérite de Saint-Évremond, au lieu que Saint-Évremond devoit s’élever aux grandes vertus de son héros. Il étoit de mes passions, comme de mon caractère ; j’exprimois mes mouvements, voulant exprimer les siens. Si j’étois amoureux, je tournois toutes choses sur l’amour ; si je me trouvois pitoyable, je ne manquois pas de fournir des infortunes à ma pitié : je faisois dire ce que je sentois moi-même, et pour comprendre tout en peu de mots, je me représentais sous le nom d’autrui. N’accusons pas quelques héros de nos tragédies de verser des pleurs qui devoient couler
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Apparence
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SUR LES CARACTÈRES DES TRAGÉDIES.
(1672.)