Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/339

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ments aux lumières de l’esprit, nous jugeons peu favorablement de la tendresse et des larmes. Celles du plus malheureux doivent être ménagées avec grande discrétion ; car le spectateur le plus tendre a bientôt séché les siennes : Cito arescit lacryma in aliena miseria1.

En effet, si on s’afflige trop longtemps sur le théâtre, ou nous nous moquons de la foiblesse de celui qui pleure, ou la longue pitié d’un long tourment qui fait passer les maux d’autrui en nous-mêmes, blesse la nature qui a dû être seulement touchée. Toutes les fois que je me trouve à des pièces fort touchantes, les larmes des acteurs attirent les miennes, avec une douceur secrète que je sens à m’attendrir ; mais si l’affliction continue, mon âme s’en trouve incommodée, et attend avec impatience quelque changement, qui la délivre d’une impression douloureuse. J’ai vu arriver souvent en de longs discours de tendresse, que l’auteur donne à la fin toute autre idée que celle de l’amant qu’il a dessein de représenter. Cet amant devient quelquefois un philosophe, qui raisonne



1. Nihll est tam miserabile, quam ex beato miser. Et hoc totum quidem moveat, si bona ex fortuna quis cadat, et a quorum caritate divellatur, quæ amittat, aut amiserit ; in quibus malis sit, futurusve sit exprimatur breviter. Cito enim arescit Lacryma, præsertim in alienis Malis. Cic., Part. Orat. § 17. (57, Orelli.)