Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/346

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crainte, ni paresse, ni chagrin ; vous ferez un libéral d’un avare, un complaisant d’un homme fâcheux et difficile. Il trouvera à redire à toutes les beautés qu’il a vues, et admirera seulement celle qui l’enchante ; il fera toutes choses pour elle, et n’aura plus de volonté que la sienne : pensant regagner, par la soumission, ce qu’il perd par le dégoût que son âge peut donner ;

Et sous un front ridé, qu’on a droit de haïr,
Il croit se faire aimer, à force d’obéir6.

Tel a été, et tel est dépeint, par Corneille, le vieil et infortuné Syphax. Avant qu’il fût charmé de Sophonisbe, il avoit tenu la balance entre les Carthaginois et les Romains ; devenu amoureux, sur ses vieux jours, il perdit ses États et se perdit lui-même, pour avoir en trop d’assujettissement aux volontés de sa femme.

Quand j’ai parlé de la passion, ç’a été proprement de l’amour que j’ai entendu parler : les autres passions servent à former le caractère, au lieu de le ruiner. Être naturellement gai, triste, colère, timide, c’est avoir les humeurs, les qualités, les affections qui composent un caractère : être fort amoureux, c’est avoir pris une passion qui ne ruine pas seulement les qualités d’un caractère, mais qui


6. Corneille, dans la Sophonisbe.