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Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/360

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c’est pour envier leur bonheur ; je suis persuadé que c’est par la crainte du péril qui le menace.

Vous remarquerez encore que toutes ces lamentations commencent presque aussitôt que la tempête. Les vents soufflent impétueusement, l’air s’obscurcit ; il tonne, il éclaire, les vagues deviennent grosses et furieuses : voilà ce qui arrive dans tous les orages. Il n’y a jusques-là ni mât qui se rompe, ni voiles qui se déchirent, ni rames brisées, ni gouvernail perdu, ni ouverture par où l’eau puisse entrer dans le navire ; et c’étoit là du moins qu’il falloit attendre à se désoler : car il y a mille jeunes garçons en Angleterre, et autant de femmes en Hollande, qui s’étonnent à peine où le héros témoigne son désespoir.

Je trouve une chose remarquable dans l’Énéide, c’est que les dieux abandonnent à Énée toutes les matières de pleurs. Qu’il conte la destruction de Troye si pitoyablement qu’il lui plaira, ils ne se mêleront pas de régler ses larmes ; mais sitôt qu’il y a une grande résolution à prendre, ou une exécution difficile à faire, ils ne se fient ni à sa capacité, ni à son courage, et ils font presque toujours ce qu’ailleurs les grands hommes ont accoutumé d’entreprendre et d’exécuter. Je sais combien l’intervention des dieux est nécessaire au poëme épique : mais cela n’empêche pas qu’on ne dût