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Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/362

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orationis sub testibus fides. Mais l’Énéide est une fable éternelle, où l’on introduit les dieux pour conduire et pour exécuter toutes choses. Quant au bon Énée, il ne se mêle guère des desseins importants et glorieux : il lui suffit de ne pas manquer aux offices d’une âme pieuse, tendre et pitoyable. Il porte son père sur ses épaules ; il regrette sa chère Creüse conjugalement ; il fait enterrer sa nourrice, et dresse un bûcher à son pilote, en répandant mille larmes.

C’étoit un pauvre héros dans le paganisme, qui pourroit être un grand saint chez les chrétiens : fort propre à nous donner des miracles, et plus digne fondateur d’un ordre que d’un État. À le considérer par les sentiments de religion, je puis révérer sa sainteté ; si j’en veux juger par ceux de la gloire, je ne saurois souffrir un conquérant qui ne fournit de lui que des larmes aux malheurs et des craintes à tous les périls qui se présentent ; je ne puis souffrir qu’on le rende maître d’un si beau pays que l’Italie, avec des qualités qui lui convenoient mieux pour perdre le sien, que pour en conquérir un autre.

Virgile étoit sans doute bien pitoyable. À mon avis, il ne fait plaindre les désolés Troyens de tant de malheurs, que par une douceur secrète qu’il trouvoit à s’attendrir. S’il n’eût été de ce tempérament-là, il n’eût pas donné