Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/552

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Et tout Venise en est déconcerté.
Il nous réduit à chercher, dans la fable,
Un demi-dieu dont le charme est vanté.
Là, son Orphée, à jamais vénérable,
Demande au ciel, pour sa félicité,
Que par Lulli, ce maître inimitable,
Soit son mérite et décrit et chanté.
Si ce qu’on dit d’Orphée est véritable,
Il sut fléchir une divinité,
Jusques alors trouvée inexorable.
À son retour du lieu tant redouté,
Et l’ours affreux et le tigre implacable
Se dépouilloient de leur férocité ;
L’arbre qu’on vit le plus inébranlable,
Perdant alors son immobilité,
Suivoit Orphée : à son chant lamentable,
Il n’étoit plus d’insensibilité.
L’accent plaintif d’un amant misérable,
Par les échos tendrement répété,
À sa douleur rendoit tout pénétrable ;
Un deuil lugubre avoit tout infecté.
L’air du malheur, rendu communicable,
De sa noirceur avoit tout attristé ;
Tout s’affligeoit avec l’inconsolable.
On t’auroit vu bien plus de fermeté
Que n’eut Orphée, en son art déplorable.
Perdre sa femme est une adversité ;
Mais ton grand cœur auroit été capable
De supporter cette calamité.
En tout, Lulli, je te tiens préférable ;
Et chaque jour qu’on a représenté,
N’as-tu pas fait chose plus incroyable,
Que le miracle en mes vers raconté ?