Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/86

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heureux succès, que l’imprudence de Terentius lui fit avoir, sans beaucoup de peine.

Il faut avouer pourtant que jamais bataille ne fut gagnée si pleinement ; et ce jour-là, pour ainsi dire, étoit le dernier des Romains, si Annibal n’eût mieux aimé jouir des commodités de la victoire, que d’en poursuivre les avantages2.

Celui qui avoit fait faire tant de fautes aux autres, se ressent ici de la foiblesse de la condition humaine, et ne peut s’empêcher de faillir lui-même. Il s’étoit montré invincible, aux plus grandes difficultés ; mais il ne peut résister à la douceur de sa bonne fortune, et se laisse aller au repos, quand un peu d’action le mettoit en état de se reposer toute sa vie.

Si vous en cherchez la raison, c’est que tout est borné dans les hommes. La patience, le courage, la fermeté s’épuisent en nous.

Annibal ne peut plus souffrir, parce qu’il a


2. L’opinion des historiens et des militaires semble être revenue à une appréciation plus favorable de la conduite d’Annibal, après la bataille de Cannes, depuis que Montesquieu n’a pas craint d’approuver ce grand capitaine de s’être abstenu de marcher sur Rome, après la défaite des Romains. M. Thiers est de l’avis d’Annibal. Rome, en effet, étoit loin d’être aussi affoiblie qu’on le pense, et Annibal avoit plus à ménager, qu’on ne croit. L’inaction qu’on lui reproche ne fut donc que prudence. Il aima mieux se conserver, avec certitude, que de risquer de tout perdre, d’un coup.