Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/89

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par soi-même. Une vieille réputation vous soutient dans l’imagination de vos ennemis, quand les véritables forces vous abandonnent. Ainsi Annibal se met devant les yeux une puissance qui n’est plus. Il se fait un fantôme de soldats morts, et de légions dissipées, comme s’il avoit encore à combattre, et à défaire ce qu’il a défait.

Et certes, la confusion n’eût pas été moindre, à Rome, après la bataille de Cannes, qu’elle l’avoit été, autrefois, après la journée d’Allia3. Mais, au lieu d’approcher d’une ville où il eût porté l’épouvante, il s’en éloigna, comme s’il eût voulu la rassurer, et donner loisir aux magistrats de pourvoir tranquillement à toutes choses. Il prit le parti d’attaquer des alliés qui tomboient avec Rome, et qui se soutinrent par elle, avec plus de facilité qu’elle ne se fût soutenue.

C’est là la première et la grande faute d’Annibal, qui fut aussi la première ressource des Romains. La consternation passée, ceux-ci augmentèrent de courage, en diminuant de


3. Rivière à trois ou quatre lieues de Rome, près de laquelle les Romains furent défaits par les Gaulois. Ceux-ci se rendirent maîtres de la ville ; mais ils ne purent prendre le Capitole, où une partie de la jeunesse s’étoit retirée. Voyez Tite-Live, au cinquième livre de la première Décade. (Des Maizeaux.)