Page:Œuvres mêlées 1865 Tome II.djvu/97

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Quand elle devient l’emploi du caprice, qu’elle sert au dérèglement et à la fureur ; quand elle n’a pour but que de faire du mal à tout le monde, alors il lui faut ôter cette gloire qu’elle s’attribue, et la rendre aussi honteuse qu’elle est injuste. Or, il est certain qu’Annibal avoit peu de vertus et beaucoup de vices : l’infidélité, l’avarice, une cruauté souvent nécessaire, toujours naturellle.

D’ailleurs, on juge d’ordinaire par le succès, quoi que disent les plus sages. Ayons toute la bonne conduite qu’on peut avoir : si l’événement n’est pas heureux, la mauvaise fortune tient lieu de faute, et ne se justifie qu’auprès de fort peu de gens. Ainsi, qu’Annibal ait mieux fait la guerre que les Romains, que ceux-ci soient demeurés victorieux, par le bon ordre de leur république, et qu’il ait péri par le mauvais gouvernement de la sienne : c’est la considération d’un petit nombre de personnes. Qu’il ait été défait par Scipion, et que la ruine de Carthage soit arrivée ensuite de sa défaite, ç’a été une chose pleinement connue, d’où s’est formé le sentiment universel de tous les peuples6.


6. Ce chapitre, sur la seconde guerre Punique, est le plus remarquable, peut-être, de l’ouvrage de Saint-Évremond. Le chapitre suivant n’a pas le même mérite.