Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/605

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selon les auteurs des causes occasionnelles Dieu change les lois des corps à l’occasion de l’âme et vice versa. C’est là la différence essentielle entre nos sentiments. Ainsi on ne doit pas être en peine, selon moi, comment l’âme peut donner quelque mouvement ou quelque nouvelle détermination aux esprits animaux, puisqu’en effet elle ne leur en donne jamais d’autant qu’il y a nulle proportion entre un esprit et un corps, et qu’il n’y a rien qui puisse déterminer quel degré de vitesse un esprit donnera à un corps, pas même quel degré de vitesse Dieu voudrait donner au corps à l’occasion de l’esprit suivant une loi certaine ; la même difficulté se trouvant à l’égard de l’hypothèse des causes occasionnelles, qu’il y a à l’égard de l’hypothèse d’une influence réelle de l’âme sur le corps et vice versa, en ce qu’on ne voit point de connexion ou fondement d’aucune règle. Et si l’on veut dire, comme il semble que M.  Descartes l’entend, que l’âme, ou Dieu à son occasion, change seulement la direction ou détermination du mouvement, et non la force qui est dans les corps, ne lui paraissant pas probable que Dieu viole à tout moment à l’occasion de…[1] les volontés des esprits, cette loi générale de la nature, que la même force doit subsister ; je réponds qu’il sera encore assez difficile d’expliquer quelle connexion il peut y avoir entre les pensées de l’âme et les côtés ou angles de la direction des corps, et de plus qu’il y a encore dans la nature une autre loi générale, dont M.  Descartes ne s’est point aperçu, qui n’est pas moins considérable, savoir, que la même détermination ou direction en somme doit toujours subsister ; car je trouve que, si on menait quelque ligne droite que ce soit, par exemple d’orient en occident par un point donné, et si on calculait toutes les directions de tous les corps du monde autant qu’ils avancent ou reculent dans les lignes parallèles à cette ligne, la différence entre les sommes des quantités de toutes les directions orientales et de toutes les directions occidentales se trouverait toujours la même, tant entre certains corps particuliers, si on suppose qu’ils ont seuls commerce entre eux maintenant, qu’à l’égard de tout l’univers, où la différence est toujours nulle, tout étant parfaitement balance et les directions orientales et occidentales étant parfaitement égales dans l’univers ; et si Dieu fait quelque chose contre cette règle, c’est un miracle.

Il est donc infiniment plus raisonnable et plus digne de Dieu, de

  1. Illisible.