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des notions innées

trouve dans les poésies de Scaliger le père avec l’élégie, et dans les lettres du fils. Un la rapporte aussi dans les Scaligerana, qu’on a recueillis des conversations de Joseph Scaliger. Il y a bien de l’apparence que Jules Scaliger avait su quelque chose de Brugnol, dont il ne se souvenait plus, et que le songe avait été en partie le renouvellement d’une ancienne idée, quoiqu’il n’y ait pas eu cette réminiscence proprement appelée ainsi, qui nous fait connaître que nous avons déjà eu cette même idée ; du moins, je ne vois aucune nécessité qui nous oblige d’assurer qu’il ne reste aucune trace d’une perception quand il n’y en a pas assez pour se souvenir qu’on l’a eue.

§ 24. Ph. Il faut que je reconnaisse que vous répondez assez naturellement aux difficultés que nous avons formées contre les vérités innées. Peut-être aussi que nos auteurs ne les combattent point dans le sens où vous les soutenez. Ainsi je reviens seulement à vous dire, Monsieur, qu’on a eu quelque sujet de crainte que l’opinion des vérités innées ne servit de prétexte aux paresseux, de s’exempter de la peine des recherches, et donnait la commodité aux docteurs et aux maîtres de poser pour principe des principes que les principes ne doivent pas être mis en question.

Th. J’ai déjà dit que, si c’est la le dessein de vos amis, de conseiller qu’on cherche les preuves des vérités, qui en peuvent recevoir, sans distinguer si elles sont innées ou non, nous sommes entièrement d’accord ; et l’opinion des vérités innées, de la manière dont je les prends, n’en doit détourner personne, car, outre qu’on fait bien de chercher la raison des instincts, c’est une de mes grandes maximes, qu’il est bon de chercher les démonstrations des axiomes mêmes, et je me souviens qu’a Paris, lorsqu’on se moquait de feu M. Roberval[1] déjà vieux, parce qu’il voulait démontrer ceux d’Euclide à l’exemple d’Appollonius et de Proclus, je fis voir l’utilité de cette recherche. Pour ce qui est du principe de ceux qui disent qu’il ne faut point disputer contre celui qui nie les principes, il n’a lieu entièrement qu’a l’égard de ces principes qui ne sauraient recevoir ni doute ni preuve. Il est vrai que pour éviter les scandales et les désordres, on peut faire des règlements à l’égard des disputes publiques et de quelques autres conférences, en vertu desquels il soit défendu de mettre en contestation certaines vérités établies. Mais c’est plutôt un point de police que de philosophie.


  1. Roberval, célèbre géomètre français, 1602-1675, professeur de mathématiques au Collège de France.