Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
nouveaux essais sur l’entendement

c’est-à-dire être connues lorsqu’on en rappelle le souvenir, comme autant de perceptions, qui aient été auparavant dans l’âme, à moins que la réminiscence ne puisse subsister sans réminiscence. Car cette persuasion, où l’on est intérieurement sûr qu’une telle idée a été auparavant dans notre esprit, est proprement ce qui distingue la réminiscence de toute autre voie de penser.

Th. Pour que les connaissances, idées ou vérités soient dans notre esprit, il n’est point nécessaire que nous y ayons jamais pensé actuellement ; ce ne sont que des habitudes naturelles, c’est-à-dire des dispositions et aptitudes actives et passives et plus que tabula rasa. Il est vrai cependant que les platoniciens croyaient que nous avions déjà pensé actuellement à ce que nous retrouvons en nous ; et pour les réfuter, il ne suffit pas de dire que nous ne nous en souvenons point, car il est sûr qu’une infinité de pensées nous revient, que nous avons oublié d’avoir eues. Il est arrivé qu’un homme a cru faire un vers nouveau, qu’il s’est trouvé avoir lu mot pour mot longtemps auparavant dans quelque ancien poète. Et souvent nous avons une facilite non commune de concevoir certaines choses, parce que nous les avons conçues autrefois, sans que nous nous en souvenions. Il se peut qu’un enfant, devenu aveugle, oublie d’avoir vu la lumière et les couleurs, comme il arriva à l’âge de deux ans et demi par la petite vérole à ce célèbre Ulric Schonberg, natif de Weide au haut Palatinat, qui mourut à Konigsberg en Prusse en 1649, où il avait enseigné la philosophie et les mathématiques avec l’admiration de tout le monde. Il se peut qu’il reste à un tel homme des effets des anciennes impressions, sans qu’il s’en souvienne. Je crois que les songes nous renouvellent souvent ainsi d’anciennes pensées. Jules Scaliger, ayant célébré en vers les hommes illustres de Vérone, un certain soi-disant Brugnolus, Bavarois d’origine, mais depuis établi à Vérone, lui parut en songe et se plaignit d’avoir été oublié. Jules Scaliger, ne se souvenant pas d’en avoir ouï parler auparavant, ne laissa point de faire des vers élégiaques à son honneur sur ce songe, Enfin le fils Joseph, Scaliger[1], passant en Italie, apprit plus particulièrement qu’il y avait eu autrefois à Vérone un célèbre grammairien ou critique savant de ce nom qui avait contribué au rétablissement des belles lettres en Italie. Cette histoire se

  1. Scaliger (Joseph), fils de Jules César, né à Agen, 1540 mort à Leyde 1609. On peut dire qu’il a fixé la Chronologie par son célèbre ouvrage : De emendatione temporum.