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des idées

Ph. Mais c’est peut-être un privilège de l’auteur et conservateur de toutes choses, qu’étant infini dans ses perceptions, il ne dort et ne sommeille jamais. Ce qui ne convient point à aucun être fini ou au moins à aucun être tel que l’âme de l’homme.

Th. Il est sûr que nous dormons et sommeillons, et que Dieu en est exempt. Mais il ne s’ensuit point que nous soyons sans aucune perception en sommeillant. Il se trouve plutôt tout le contraire, si on y prend bien garde.

Ph. Il y a en nous quelque chose qui a la puissance de penser ; mais il ne s’ensuit pas que nous en ayons toujours l’acte.

Th. Les puissances véritables ne sont jamais des simples possibilités. Il y a toujours de la tendance et de l’action.

Ph. Mais cette proposition : l’âme pense toujours, n’est pas évidente par elle-même.

Th. Je ne le dis point aussi. Il faut un peu d’attention et de raisonnement pour la trouver. Le vulgaire s’en aperçoit aussi peu que de la pression de l’air ou de la rondeur de la terre.

Ph. Je doute si j’ai pensé la nuit précédente. C’est une question de fait. Il la faut décider par des expériences sensibles.

Th. On la décide comme l’on prouve qu’il y a des corps imperceptibles et des mouvements invisibles, quoique certaines personnes les traitent de ridicules. Il y a de même des perceptions peu relevées, sans nombre, qui ne se distinguent pas assez pour qu’on s’en aperçoive ou s’en souvienne, mais elles se font connaître par des conséquences certaines.

Ph. Il s’est trouvé un certain auteur qui nous a objecté que nous soutenons que l’âme cesse d’exister, parce que nous ne sentons pas qu’elle existe pendant notre sommeil. Mais cette objection ne peut venir que d’une étrange préoccupation ; car nous ne disons pas qu’il n’y a point d’âme dans l’homme, parce que nous ne sentons pas qu’elle existe pendant notre sommeil, mais seulement que l’homme ne saurait penser sans s’en apercevoir.

Th. Je n’ai point lu le livre qui contient cette objection, mais on n’aurait pas eu tort de vous objecter seulement qu’il ne s’ensuit pas de ce qu’on ne s’aperçoit pas de la pensée, qu’elle cesse pour cela ; car autrement on pourrait dire, par la même raison, qu’il n’y a point d’âme pendant qu’on ne s’en aperçoit point. Et, pour réfuter cette objection, il faut montrer de la pensée particulièrement, qu’il lui est essentiel qu’on s’en aperçoive.