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nouveaux essais sur l’entendement

faut excepter l’âme même et ses affections. Nihil est in intellectu, quod non fuerit in sensu, excipe : nisi ipse intellectus. Or l’âme renferme l’être, la substance, l’un, le même, la cause, la perception, le raisonnement, et quantité d’autres notions, que les sens ne sauraient donner. Cela s’accorde assez avec votre auteur de l’Essai qui cherche une bonne partie des idées dans la réflexion de l’esprit sur sa propre nature.

Ph. J’espère donc que vous accorderez à cet habile auteur que toutes les idées viennent par sensation ou par réflexion, c’est-à-dire des observations que nous faisons, ou sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme.

Th. Pour éviter une contestation sur laquelle nous ne nous sommes arrêtés que trop, je vous déclare par avance, Monsieur, que lorsque vous direz que les idées nous viennent de l’une ou de l’autre de ces causes, je l’entends de leur perception actuelle, car je crois d’avoir montré qu’elles sont en nous avant qu’on s’en aperçoive en tant qu’elles ont quelque chose de distinct.

§ 9. Ph. Après cela voyons quand on doit dire que l’âme commence d’avoir de la perception et de penser actuellement aux idées. Je sais bien qu’il y a une opinion qui pose que l’âme pense toujours, et que la pensée actuelle est aussi inséparable de l’âme que l’extension actuelle est inséparable du corps (§ 10). Mais je ne saurais concevoir qu’il soit plus nécessaire à l’âme de penser toujours qu’au corps d’être toujours en mouvement, la perception des idées étant à l’âme ce que le mouvement est au corps. Cela me paraît fort raisonnable au moins, et je serais bien aise, Monsieur, de savoir votre sentiment là-dessus.

Th. Vous l’avez dit, Monsieur, l’action n’est pas plus attachée à l’âme qu’au corps ; un état sans pensée dans l’âme et un repos absolu dans le corps me paraissant également contraire à la nature et sans exemple dans le monde. Une substance qui sera une fois en action le sera toujours, car toutes les impressions demeurent et sont mêlées seulement avec d’autres nouvelles. Frappant un corps, on y excite ou détermine plutôt une infinité de tourbillons, comme dans une liqueur ; car, dans le fond, tout solide a un degré de liquidité, et tout liquide un degré de solidité, et il n’y a pas moyen d’arrêter jamais entièrement ces tourbillons internes : maintenant on peut croire que si le corps n’est jamais en repos, l’âme qui y répond ne sera jamais non plus sans perception.