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des idées

ne peut céder sans faire encore céder d’autres. Mais il y entre encore alors une considération nouvelle, c’est celle de la fermeté, ou de l’attachement d’un corps à l’autre. Cet attachement fait souvent qu’on ne peut pousser un corps sans pousser en même temps un autre qui lui est attaché, ce qui fait une manière de traction à l’égard de cet autre. Cet attachement aussi fait que, quand même on mettrait à part l’inertie et l’impétuosité manifeste, il y aurait de la résistance, car, si l’espace est conçu plein d’une matière absolument fluide, et si on y place un seul corps dur, ce corps dur (supposé qu’il n’y ait ni inertie ni impétuosité dans le fluide) y sera mû sans trouver aucune résistance ; mais, si l’espace était plein de petits cubes, la résistance que trouverait le corps dur, qui devrait être mû parmi ces cubes, viendrait de ce que les petits cubes durs, à cause de leur dureté ou de l’attachement de leurs parties les unes aux autres, auraient de la peine à se diviser autant qu’il faudrait pour faire un cercle de mouvement, et pour remplir la place du mobile au moment où il en sort. Mais, si deux corps entraient en même temps par deux bouts dans un tuyau ouvert des deux côtés et en remplissaient également la capacité, la matière qui serait dans ce tuyau, quelque fluide qu’elle pût être, résisterait par sa seule impénétrabilité. Ainsi dans la résistance dont il s’agit ici, il y a à considérer l’impénétrabilité des corps, l’inertie, l’impétuosité et l’attachement. Il est vrai qu’a mon avis cet attachement des corps vient d’un mouvement plus subtil d’un corps vers l’autre ; mais, comme c’est un point contestable, on ne doit point le supposer d’abord. Et par la même raison on ne doit point supposer d’abord non plus qu’il y a une solidité originaire essentielle, qui rende le lieu toujours égal au corps, c’est-à-dire que l’incompatibilité, ou, pour parler plus juste, l’inconsistance des corps dans un même lieu, est une parfaite impénétrabilité qui ne reçoit ni plus ni moins, puisque plusieurs disent que la solidité sensible peut venir d’une répugnance des corps à se trouver dans un même lieu, mais qui ne serait point invincible. Car tous les péripatéticiens ordinaires et plusieurs autres croient qu’une même matière pourrait remplir plus ou moins d’espace, ce qu’ils appellent raréfaction ou condensation, non pas en apparence seulement (comme lorsqu’en comprimant une éponge on en fait sortir l’eau), mais à la rigueur comme l’école le conçoit à l’égard de l’air. Je ne suis point de ce sentiment, mais je ne trouve point qu’on doive supposer d’abord le sentiment opposé, les sens sans le raisonnement ne suffisant point à établir cette par-