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nouveaux essais sur l’entendement

faite impénétrabilité, que je tiens vraie dans l’ordre de la nature, mais qu’on n’apprend pas par la seule sensation. Et quelqu’un pourrait prétendre que la résistance des corps à la compression vient d’un effort que les parties font à se répandre quand elles n’ont pas toute leur liberté. Au reste, pour prouver ces qualités, les yeux y aident beaucoup, en venant au secours de l’attouchement. Et dans le fond la solidité, en tant qu’elle donne une notion distincte, se conçoit par la pure raison, quoique les sens fournissent au raisonnement de quoi prouver qu’elle est dans la nature.

§ 4. Ph. Nous sommes au moins d’accord que la solidité d’un corps porte qu’il remplit l’espace qu’il occupe, de telle sorte qu’il en exclut absolument tout autre corps (s’il ne peut trouver un espace où il n’était pas auparavant) ; au lieu que la dureté, ou la consistance plutôt, que quelques-uns appellent fermeté, est une forte union de certaines parties de la matière, qui composent des amas d’une grosseur sensible, de sorte que toute la masse ne change pas aisément de figure.

Th. Cette consistance, comme j’ai déjà remarqué, est proprement ce qui fait qu’on a de la peine à mouvoir une partie d’un corps sans l’autre, de sorte que, lorsqu’on en pousse l’une, il arrive que l’autre, qui n’est pas poussée, et ne tombe point dans la ligne de la tendance, est néanmoins portée aussi à aller de ce côté-là par une manière de traction ; et de plus, si cette dernière partie trouve quelque empêchement qui la retient ou la repousse, elle tire en arrière ou retient aussi la première ; et cela est toujours réciproque. Le même arrive quelquefois à deux corps, qui ne se touchent point et qui ne composent point un corps continu, dont ils soient les parties contiguës : et cependant l’un poussé fait aller l’autre sans le pousser, autant que les sens peuvent le faire connaître. C’est de quoi l’aimant[1], l’attraction électrique et celle qu’on attribuait autrefois à la crainte du vide, donnent des exemples.

Ph. Il semble que généralement le dur et le mou sont des noms, que nous donnons aux choses seulement par rapport à la constitution particulière de nos corps.

Th. Mais ainsi beaucoup de philosophes n’attribueraient pas la dureté à leurs atomes. La notion de la dureté ne dépend point des sens, et on en peut concevoir la possibilité par la raison, quoique nous soyons encore convaincus par les sens, qu’elle se trouve ac-

  1. Gehrardt : l’animant.