Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
des idées

l’autre ? Ce qui fait voir aussi que la chaleur n’est pas dans l’eau non plus que la douleur dans l’épingle.

Th. Cela prouve tout au plus que la chaleur n’est pas une qualité sensible ou une puissance de se faire sentir tout à fait absolue, mais qu’elle est relative à des organes proportionnés, car un mouvement propre dans la main s’y peut mêler et en altérer l’apparence. La lumière encore ne parait point à des yeux mal constitués ; et, quand ils sont remplis eux-mêmes d’une grande lumière, une moindre ne leur est point sensible. Même les qualités premières (suivant votre dénomination), par exemple l’unité et le nombre, peuvent ne point paraître comme il faut : car, comme M.  Descartes l’a déjà rapporté, un globe touché des doigts d’une certaine façon paraît double, et les miroirs ou verres taillés à facettes multiplient l’objet. Il ne s’ensuit donc pas que ce qui ne paraît point toujours de même n’est pas une qualité de l’objet, et que son image ne lui ressemble pas. Et, quant à la chaleur, quand notre main est fort chaude, la chaleur médiocre de l’eau ne se fait point sentir, et tempère plutôt celle de la main, et par conséquent l’eau nous parait froide ; comme l’eau salée de la mer Baltique mêlée avec de l’eau de la mer de Portugal en diminuerait la salure spécifique, quoique la première soit salée elle même. Ainsi en quelque façon on peut dire que la chaleur appartient à l’eau d’un bain, bien qu’elle puisse paraître froide à quelqu’un, comme le miel est appelé doux absolument, et l’argent blanc, quoique l’un paraisse amer, et l’autre jaune à quelques malades, car la dénomination se fait par le plus ordinaire : et il demeure cependant vrai que, lorsque l’organe et le milieu sont constitués comme il faut, les mouvements internes et les idées, qui les représentent à l’âme, ressemblent aux mouvements de l’objet, qui cause la couleur, la douleur, etc., ou, ce qui est ici la même chose, l’exprime par un rapport assez exact, quoique ce rapport ne nous paraisse pas distinctement, parce que nous ne saurions démêler cette multitude de petites impressions, ni dans notre âme, ni dans notre corps, ni dans ce qui est dehors.

§ 24. Ph. Nous ne considérons les qualités qu’a le soleil de blanchir et d’amollir la cire ou d’endurcir la boue, que comme des simples puissances, sans rien concevoir dans le soleil, qui ressemble à cette blancheur et à cette mollesse ou à cette dureté ; mais la chaleur et la lumière sont regardées communément comme des qualités réelles du soleil. Cependant, à bien considérer la chose, ces qualités de lu-