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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/154

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nouveaux essais sur l’entendement

ment ce qui est incapable de plaisir ou de bonheur, et nous jouissons des choses de cette nature sans les aimer pour cela, si ce n’est par une prosopopée, et comme si nous nous imaginions qu’elles jouissent elles-mêmes de leur perfection. Ce n’est donc pas proprement de l’amour lorsqu’on dit qu’on aime un beau tableau par le plaisir qu’on prend à en sentir les perfections. Mais il est permis d’étendre le sens des termes, et l’usage y varie. Les philosophes et théologiens mêmes distinguent deux espèces d’amour, savoir l’amour qu’ils appellent de concupiscence[1], qui n’est autre que le désir ou le sentiment qu’on a pour ce qui nous donne du plaisir, sans que nous nous intéressions s’il en reçoit ; et l’amour de bienveillance, qui est le sentiment qu’on a pour celui qui par son plaisir ou bonheur nous en donne. Le premier nous fait avoir en vue notre plaisir et le second celui d’autrui, mais comme faisant ou plutôt constituant le nôtre ; car, s’il ne jaillissait pas sur nous en quelque façon, nous ne pourrions pas nous y intéresser, puisqu’il est impossible, quoi qu’on dise, d’être détaché du bien propre. Et voilà comment il faut entendre l’amour désintéressé ou non mercenaire, pour en bien concevoir la noblesse, et pour ne point tomber cependant dans le chimérique.

§ 6. Ph. L’inquiétude (Uneasiness en anglais) qu’un homme ressent en lui-même par l’absence d’une chose, qui lui donnerait du plaisir si elle était présente, c’est ce qu’on nomme désir. L’inquiétude est le principal, pour ne pas dire le seul aiguillon, qui excite l’industrie et l’activité des hommes ; car, quelque bien qu’on propose à l’homme, si l’absence de ce bien n’est suivie d’aucun déplaisir ni d’aucune douleur et que celui qui en est privé puisse être content et à son aise sans le posséder, il ne s’avise pas de le désirer et moins encore de faire des efforts pour en jouir. Il ne sent pour cette espèce de bien qu’une pure velléité, terme qu’on a employé pour signifier le plus bas degré du désir qui approche le plus de cet état où se trouve l’âme à l’égard d’une chose qui lui est tout à fait indifférente, lorsque le déplaisir que cause l’absence d’une chose est si peu considérable qu’il ne porte qu’à des faibles souhaits sans engager de se servir des moyens de l’obtenir. Le désir est encore éteint ou ralenti par l’opinion où l’on est que le bien souhaité ne peut être obtenu, à proportion que l’inquiétude de l’âme est guérie ou, diminuée par

  1. Gehrardt : conquiscence.