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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/155

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des idées

cette considération. Au reste, j’ai trouvé ce que je vous dis de l’inquiétude dans ce célèbre auteur anglais dont je vous rapporte souvent les sentiments. J’ai été un peu en peine de la signification du mot anglais uneasiness. Mais l’interprète français, dont l’habileté à s’acquitter de cet emploi ne saurait être révoquée en doute, remarque au bas de la page (chap. xx, § 6) que par ce mot anglais l’auteur entend l’état d’un homme qui n’est pas à son aise, le manque d’aise et de tranquillité dans l’âme, qui, à cet égard, est purement passive et qu’il a fallu rendre ce mot par celui d’inquiétude, qui n’exprime pas précisément la même idée, mais qui en approche le plus près. Cet avis (ajoute-t-il) est surtout nécessaire par rapport au chapitre suivant de la puissance où l’auteur raisonne beaucoup sur cette espèce d’inquiétude, car si l’on n’attachait pas à ce mot l’idée qui vient d’être marquée, il ne serait pas possible de comprendre exactement les matières qu’on traite dans ce chapitre et qui sont des plus importantes et des plus délicates de tout l’ouvrage.

Th. L’interprète a raison, et la lecture de son excellent auteur m’a fait voir que cette considération de l’inquiétude est un point capital où cet auteur montre particulièrement son esprit pénétrant et profond. C’est pourquoi je me suis donné quelque attention, et, après avoir bien considéré la chose, il me parait quasi que le mot d’inquiétude, s’il n’exprime pas assez le sens de l’auteur, convient pourtant assez, à mon avis, à la nature de la chose et celui d’uneasiness, s’il marquait un déplaisir, un chagrin, une incommodité, et, en un mot, quelque douleur effective, n’y conviendrait pas ; car j’aimerais mieux dire que dans le désir en lui-même, il y a plutôt une disposition et préparation à la douleur que de la douleur même. Il est vrai que cette perception quelquefois ne diffère de celle qu’il y a dans la douleur que du moins au plus, mais c’est que le degré est de l’essence de la douleur, car c’est une perception notable. On voit aussi cela par la différence qu’il y a entre l’appétit et la faim ; car quand l’irritation de l’estomac devient trop forte, elle incommode, de sorte qu’il faut encore appliquer ici notre doctrine des perceptions trop petites pour être perceptibles, car si ce qui se passe en nous, lorsque nous avons de l’appétit et du désir, était assez grossi, il nous causerait de la douleur. C’est pourquoi l’auteur infiniment sage de notre être l’a fait pour notre bien, quand il fait en sorte que nous soyons souvent dans l’ignorance et dans des perceptions con-