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nouveaux essais sur l’entendement

§ 8. Ph. La tristesse est une inquiétude de l’âme, lorsqu’elle pense à un bien perdu, dont elle aurait pu jouir plus longtemps, ou quand elle est tourmentée d’un mal actuellement présent.

Th. Non seulement la présence actuelle, mais encore la crainte d’un mal à venir peut rendre triste, de sorte que je crois que les définitions de la joie et de la tristesse, que je viens de donner, conviennent mieux a l’usage. Quant à l’inquiétude, il y a dans la douleur et par conséquent dans la tristesse quelque chose de plus : et l’inquiétude est même dans la joie, car elle rend l’homme éveillé, actif, plein d’espérance pour aller plus loin. La joie a été capable de faire mourir par trop d’émotion, et alors il y avait en cela encore plus que de l’inquiétude.

§ 9. Ph. L’espérance est le contentement de l’âme, qui pense à la jouissance qu’elle doit probablement avoir d’une chose propre à lui donner du plaisir (§ 10), et la crainte est une inquiétude de l’âme, lorsqu’elle pense à un mal futur, qui peut arriver.

Th. Si l’inquiétude signifie un déplaisir, j’avoue qu’elle accompagne toujours la crainte ; mais la prenant pour cet aiguillon insensible qui nous pousse, on peut l’appliquer encore à l’espérance. Les stoïciens prenaient les passions pour des opinions. Ainsi l’espérance leur était l’opinion d’un bien futur, et la crainte l’opinion d’un mal futur. Mais j’aime mieux de dire que les passions ne sont ni des contentements ou des déplaisirs, ni des opinions, mais des tendances, ou plutôt des modifications de la tendance qui viennent de l’opinion ou du sentiment et qui sont accompagnées de plaisir ou de déplaisir.

§ 11. Ph. Le désespoir est la pensée qu’on a un bien qui ne peut être obtenu, ce qui peut causer de l’affliction[1] et quelquefois le repos.

Th. Le désespoir, pris pour la passion, sera une manière de tendance forte, qui se trouve tout à fait arrêtée, ce qui cause un combat violent et beaucoup de déplaisir. Mais, lorsque le désespoir est accompagné de repos et d’indolence, ce sera une opinion plutôt qu’une passion.

§ 12 Ph. La colère est cette inquiétude ou ce désordre que nous ressentons après avoir reçu quelque injure, et qui est accompagné d’un désir présent de nous venger.

Th. Il semble que la colère est quelque chose de plus simple et de plus général, puisque les bêtes en sont susceptibles, auxquelles on

  1. Gehrardt : affection.