Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
nouveaux essais sur l’entendement

aux habiles gens de se méprendre en bâtissant des raisonnements sur un fondement si ruineux.

Ph. Le transport du mouvement ne donne qu’une idée fort obscure d’une puissance active de mouvoir, qui est dans le corps, tandis que nous ne voyons autre chose, sinon que le corps transfère le mouvement sans le produire en aucune manière.

Th. Je ne sais, si l’on prétend ici que le mouvement passe de sujet en sujet et que le même mouvement (idem numero) se transfère. Je sais que quelques uns sont allés là, entre autre le père Casati, jésuite[1], malgré toute l’école. Mais je doute que ce soit votre sentirent ou celui de vos habiles amis, bien éloignés ordinairement de telles imaginations. Cependant si le même mouvement n’est point transporté, il faut qu’on admette qu’il se produit un mouvement nouveau dans le corps qui le reçoit ; ainsi, celui qui donne, agirait véritablement quoiqu’il pâtirait en même temps en perdant de sa force. Car, quoiqu’il ne soit point vrai que le corps perde autant de mouvement qu’il en donne, il est toujours vrai qu’il en perd et qu’il perd autant de force qu’il en donne, comme je l’ai expliqué ailleurs, de sorte qu’il faut toujours admettre en lui de la force ou de la puissance active. J’entends la puissance dans le sens le plus noble, que j’ai expliqué un peu auparavant, où la tendance est jointe à la faculté. Cependant je suis toujours d’accord avec vous, que la plus claire idée de la puissance active nous vient de l’esprit. Aussi n’est-elle que dans les choses qui ont de l’analogie avec l’esprit, c’est-à-dire dans les entéléchies, car la matière ne marque proprement que la puissance passive.

§ 5. Ph. Nous trouvons en nous-mêmes la puissance de commencer, de continuer ou de terminer plusieurs actions de notre âme et plusieurs mouvements de notre corps, et cela simplement par une pensée ou un choix de notre esprit, qui détermine, pour ainsi dire, qu’une telle action particulière soit faite ou ne soit pas faite. Cette puissance est ce que nous appelons volonté. L’usage actuel de cette puissance se nomme volition ; la cessation ou la production de l’action, qui suit d’un tel commandement de l’âme, s’appelle volontaire, et toute action qui est faite sans une telle direction de l’âme se nomme involontaire.

  1. Casari, jésuite, né à Plaisance en 1617, mort à Parme en 1707, auteur de Vacum proscriptum ; De terrâ machinis motâ (Rome, 1668, in-4o) ; Mechanicorum libri octo.