Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
nouveaux essais sur l’entendement

y penser, et c’est une marque qu’un concours de dispositions intérieures et d’impressions extérieures (quoique insensibles toutes deux) nous détermine au parti que nous prenons. Cependant la prévalence est bien petite, et c’est au besoin comme si nous étions indifférents à cet égard, puisque le moindre sujet sensible qui se présente à nous est capable de nous déterminer sans difficulté à l’un plutôt qu’à l’autre, et quoiqu’il y ait un peu de peine à lever le bras pour porter sa main sur sa tête, elle est si petite que nous la surmontons sans difficulté ; autrement, j’avoue que ce serait une grande imperfection si l’homme y était moins indifférent, et s’il lui manquait le pouvoir de se déterminer facilement à lever où il ne pas lever le bras.

Ph. Mais ce ne serait pas moins une grande imperfection, s’il avait la même indifférence en toutes les rencontres, comme lorsqu’il voudrait défendre sa tête ou ses yeux d’un coup dont il se verrait prêt d’être frappé, c’est-à-dire s’il lui était aussi aisé d’arrêter ce mouvement que les autres dont nous venons de parler et où il est presque indifférent ; car cela ferait qu’il n’y serait pas porté assez fortement ni assez promptement dans le besoin. Ainsi la détermination nous est utile et nécessaire bien souvent, et si nous étions peu déterminés en toute sorte de rencontres et comme insensibles aux idées tirées de la perception du bien et du mal, nous serions sans choix effectif. Et, si nous étions déterminés par autre chose que par le dernier résultat que nous avons formé dans notre propre esprit, selon que nous avons jugé du bien et du mal d’une certaine action, nous ne serions point libres.

Th. Il n’y a rien de si vrai, et ceux qui cherchent une autre liberté ne savent point ce qu’ils demandent.

§ 49. Ph. Les êtres supérieurs, qui jouissent d’une parfaite félicité, sont déterminés au choix du bien plus fortement que nous ne le sommes, et cependant nous n’avons pas raison de nous figurer qu’ils soient moins libres que nous.

Th. Les théologiens disent pour cela que ces substances bienheureuses sont confirmées dans le bien et exemptes de tout danger de chute.

Ph. Je crois même que, s’il convenait à de pauvres créatures finies comme nous sommes de juger de ce que pourrait faire une sagesse et bonté infinie, nous pourrions dire que Dieu lui-même ne saurait choisir ce qui n’est pas bon et que la liberté de cet Être tout-puissant ne l’empêche pas d’être déterminé par ce qui est le meilleur