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des idées

Th. Je suis tellement persuadé de cette vérité que je crois que nous la pouvons assurer hardiment, toutes pauvres et finies créatures que nous sommes, et que même nous aurions grand tort d’en douter ; car nous dérogerions par cela même à sa sagesse, à sa bonté et à ses autres perfections infinies. Cependant le choix, quelque déterminée que la volonté y soit, ne doit pas être appelé nécessaire absolument et à la rigueur ; la prévalence des biens aperçus incline sans nécessiter, quoique tout considéré, cette inclination soit déterminante et ne manque jamais de faire son effet.

§ 50. Ph. Être déterminé par la raison au meilleur, c’est être le plus libre. Quelqu’un voudrait-il être imbécile par cette raison qu’un imbécile est moins déterminé par de sages réflexions qu’un homme de bon sens ? Si la liberté consiste à secouer le joug de la raison, les fous et les insensés seront les seuls libres ; mais je ne crois pas que, pour l’amour d’une telle liberté, personne voulût être fou, hormis celui qui l’est déjà.

Th. Il y a des gens aujourd’hui qui croient qu’il est du bel esprit de déclamer contre la raison et de la traiter de pédante incommode. Je vois de petits livrets de discours de rien, qui s’en font fête, et même je vois quelquefois des vers trop beaux pour être employés à de si fausses pensées. En effet, si ceux qui se moquent de la raison parlaient tout de bon, ce serait une extravagance de nouvelle espèce inconnue aux siècles passés. Parler contre la raison, c’est parler contre la vérité, car la raison est un enchaînement de vérités. C’est parler contre soi-même, contre son bien, puisque le point principal de la raison consiste à la connaître et à la suivre.

§ 51. Ph. Comme donc la plus haute perfection d’un être intelligent consiste à s’appliquer soigneusement et constamment à la recherche du véritable bonheur, de même le soin que nous devons avoir de ne pas prendre pour une félicité réelle celle qui n’est qu’imaginaire est le fondement de notre liberté. Plus nous sommes liés à la recherche invariable du bonheur en général, qui ne cesse jamais d’être l’objet de nos désirs, plus notre volonté se trouve dégagée de la nécessité d’être déterminée par le désir qui nous porte vers quelque bien particulier, jusqu’à ce que nous ayons examiné s’il se rapporte ou s’oppose à notre véritable bonheur.

Th. Le vrai bonheur devrait toujours être l’objet de nos désirs, mais il y a lieu de douter qu’il le soit, car souvent on n’y pense guère, et j’ai remarqué ici plus d’une fois qu’à moins que l’appétit ne soit