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nouveaux essais sur l’entendement

guidé par la raison, il tend au plaisir présent et non pas au bonheur, c’est-à-dire au plaisir durable, quoiqu’il tende à le faire durer ; voyez § 36 et § 41.

§ 53. Ph. Si quelque trouble excessif vient à s’emparer entièrement de notre âme, comme serait la douleur d’une cruelle torture, nous ne sommes pas assez maîtres de notre esprit. Cependant, pour modérer nos passions autant qu’il se peut, nous devons faire prendre à notre esprit le goût du bien et du mal réel et effectif, et ne pas permettre qu’un bien excellent et considérable nous échappe de l’esprit sans y laisser quelque goût, jusqu’à ce que nous ayons excité en nous des désirs proportionnés à son excellence, de sorte que son absence nous rende inquiets, aussi bien que la crainte de le perdre lorsque nous en jouissons.

Th. Cela convient assez avec les remarques que je viens de faire aux §§ 31 et 35 et avec ce que j’ai dit plus d’une fois des plaisirs lumineux, où l’on comprend comment ils nous perfectionnent sans nous mettre en danger de quelque imperfection plus grande ; comme font les plaisirs confus des sens, dont il faut se garder, surtout lorsqu’on n’a pas reconnu par l’expérience qu’on pourra s’en servir sûrement.

Ph. Et que personne ne dise ici qu’il ne saurait maîtriser ses passions ni, empêcher qu’elles ne se déchaînent et l’emperlaient d’agir ; car ce qu’il peut faire devant un prince ou quelque grand homme, il peut le faire, s’il veut, lorsqu’il est seul ou en la présence de Dieu.

Th. Cette remarque est très bonne et digne qu’on y réfléchisse souvent.

§ 54. Ph. Les différents choisi cependant que les hommes font dans ce monde prouvent que la même chose n’est pas également bonne pour chacun d’eux. Et si les intérêts de l’homme ne s’étendaient point au delà de cette vie, la raison de cette diversité, qui fait, par exemple, que ceux-ci se plongent dans le luxe et dans la débauche et que ceux-la préfèrent la tempérance à la volupté, viendrait seulement de ce qu’ils placeraient leur bonheur dans des choses différentes.

Th. Elle en vient encore maintenant, quoiqu’ils aient tous ou doivent avoir devant les yeux cet objet commun de la vie future. Il est vrai que la considération du vrai bonheur, même de cette vie, suffirait à faire préférer la vertu aux voluptés, qui en éloignent, quoique l’obli-