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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/196

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nouveaux essais sur l’entendement

largeur ; et, quant à la grandeur de la conséquence et les degrés de probabilité, nous manquons encore de cette partie de la Logique qui les doit faire estimer ; et la plupart des casuites qui ont écrit sur la probabilité n’en ont pas même compris la nature, la fondant sur l’autorité avec Aristote, au lieu de la fonder sur la vraisemblance comme ils devraient, l’autorité n’étant qu’une partie des raisons qui font la vraisemblance.

§ 67. Ph. Voici quelques-unes des causes ordinaires de ce faux jugement. La première est l’ignorance, la seconde est l’inadvertance, quand un homme ne fait aucune réflexion sur cela même dont il est instruit. C’est une ignorance affectée et présente qui séduit le jugement aussi bien que la volonté.

Ph. Elle est toujours présente, mais elle n’est pas toujours affectée, car on ne s’avise pas toujours de penser quand il faut à ce qu’on sait et dont on devrait se rappeler la mémoire, si on en était le maître. L’ignorance affectée est toujours mêlée de quelque advertance dans le temps qu’on l’affecte ; il est vrai que dans la suite il peut y avoir de l’inadvertance ordinairement. L’art de s’aviser au besoin de ce qu’on sait serait un des plus importants, s’il était inventé ; mais je ne vois pas que les hommes aient encore pensé jusqu’ici en former les éléments, car l’art de la mémoire, dont tant d’auteurs ont écrit, est tout autre chose.

Ph. Si donc on assemble confusément et à la hâte les raisons de l’un des côtés, et qu’on laisse échapper par négligence plusieurs sommes qui doivent faire partie du compte, cette précipitation ne produit pas moins de faux jugements que si e’était une parfaite ignorance.

Th. En effet il faut bien des choses pour se prendre comme il faut, lorsqu’il s’agit de la balance des raisons ; et c’est à peu près comme dans les livres de compte des marchands. Car il n’y faut négliger aucune somme, il faut bien estimer chaque somme à part, il faut les bien arranger, et il faut enfin en faire une collection exacte. Mais on y néglige plusieurs chefs, soit en ne s’avisant pas d’y penser, soit en passant légèrement la-dessus ; et on ne donne point à chacun sa juste valeur, semblable à ce teneur de livres de compte qui avait soin de bien calculer les colonnes de chaque page, mais qui calculait très mal les sommes particulières de chaque ligne ou poste avant que de les mettre dans la colonne, ce qu’il faisait pour tromper les réviseurs, qui regardent principalement à ce qui est dans les