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des idées

colonnes. Enfin après avoir tout bien marqué, on peut se tromper dans la collection des sommes des colonnes et même dans la collection finale où il y a la somme des sommes, Ainsi il nous faudrait encore l’art de s’aviser et celui d’estimer les probabilités et de plus la connaissance de la valeur des biens et des maux, pour bien employer l’art des conséquences : et il nous faudrait encore de l’attention et de la patience après tout cela, pour pousser jusqu’à la conclusion. Enfin il faut une ferme et constante résolution pour exécuter ce qui a été conclu ; et des adresses, des méthodes, des lois particulières et des habitudes toutes formées pour la maintenir dans la suite, lorsque les considérations qui l’ont fait prendre ne sont plus présentes à l’esprit. Il est vrai, que, grâce à Dieu, dans ce qui importe le plus et qui regarde summum rerum, le bonheur et la misère, on n’a pas besoin de tant de connaissances, d’aides et d’adresses, qu’il en faudrait avoir pour bien juger dans un conseil d’État ou de guerre, dans un tribunal de justice, dans une consultation de médecine, dans quelque controverse de théologie ou d’histoire, ou dans quelque point de mathématique et de mécanique ; mais en récompense, il faut plus de fermeté et d’habitude dans ce qui regarde ce grand point de la félicité et de la vertu, pour prendre toujours de bonnes résolutions et pour les suivre. En un mot, pour le vrai bonheur moins de connaissances suffit avec plus de bonne volonté ; de sorte que le plus grand idiot y peut parvenir aussi aisément que le plus docte et le plus habile.

Ph. L’on voit donc que entendement sans liberté ne serait d’aucun usage et que la liberté sans entendement ne signifierait rien. Si un homme pouvait voir ce qui peut lui faire du bien ou du mal, sans qu’il soit capable de faire un pas pour s’avancer vers l’un ou pour s’éloigner de l’autre, en serait-il mieux pour avoir l’usage de la vue ? Il en serait même plus misérable, car il languirait inutilement après le bien et craindrait le mal, qu’il verrait inévitable ; et celui qui est en liberté de courir çà et la au milieu d’une parfaite obscurité, en quoi est-il mieux que s’il était ballotté au gré du vent ?

Th. Son caprice serait un peu plus satisfait, cependant il n’en serait pas mieux en état de rencontrer le bien et d’éviter le mal.

§ 68. Ph. Autre source de faux jugement. Contents du premier plaisir qui nous vient sous la main ou que la coutume a rendu