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des idées

non seulement dans votre sens, mais aussi dans le mien, jusqu’à ce qu’on en ait distinctement conçu le nombre et d’autres propriétés. S’il y en avait trente-six (par exemple), on ne connaîtra pas, à les voir entassées ensemble sans être arrangées, qu’elles peuvent donner un triangle ou bien un carré, comme elles le peuvent en effet, parce que trente-six est un nombre carré et aussi un nombre triangulaire. C’est ainsi qu’en regardant une figure de mille côtés, on n’en aura qu’une idée confuse jusqu’à ce qu’on sache le nombre des côtés, qui est le cube de dix. Il ne s’agit donc point des noms, mais des propriétés distinctes, qui se doivent trouver dans l’idée lorsqu’on en aura démêlé la confusion. Et il est difficile quelquefois d’en trouver la clef, ou la manière de regarder d’un certain point ou par l’entremise d’un certain miroir ou verre pour voir le but de celui qui a fait la chose.

§ 9. Ph. On ne saurait point pourtant nier qu’il n’y ait encore un troisième défaut dans les idées, qui dépend véritablement du mauvais usage des noms, c’est quand nos idées sont incertaines ou indéterminées. Ainsi l’on peut voir tous les jours des gens qui, ne faisant pas difficulté de se servir des mots usités dans leur langue maternelle, avant, d’en avoir appris la signification précise, changeait l’idée qu’ils y attachent presque aussi souvent qu’ils les font entrer dans leur discours. § 10. Ainsi l’on voit combien les noms contribuent et cette dénomination d’idées distinctes et confuses et sans la considération des noms distincts, pris pour des signes des choses distinctes, il sera bien mal aisé de dire ce que c’est qu’une idée confuse.

Th. Je viens pourtant de l’expliquer sans considérer les noms, soit dans le cas où la confusion est prise avec vous pour ce que j’appelle obscurité, soit dans celui où elle est prise dans mon sens pour le défaut de l’analyse de la notion qu’on a. Et j’ai montré aussi que toute idée obscure est en effet indéterminée ou incertaine, comme dans l’exemple de la bête tachetée qu’on a vue, où l’on sait qu’il faut joindre encore quelque chose à cette notion générale, sans s’en souvenir clairement ; de sorte que le premier et le troisième défaut que vous avez spécifiés, reviennent à la mente chose. Il est cependant très vrai que l’abus des mots est une grande source d’erreurs, car il en arrive une manière d’erreur de calcul, comme si en calculant on ne marquait pas bien la place du jeton, ou si l’on écrivait si mal les notes numérales, qu’on ne pût point discerner un 2 d’un 7, ou si on les omettait ou échangeait par mégarde. Cet abus