Aller au contenu

Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
des idées

à des idées indéterminées, variables et qui sont presque de purs néants (dans les pensées sourdes) sert d’un côte à couvrir notre ignorance et de l’autre à confondre et embarrasser les autres, ce qui passe pour véritable savoir et pour marque de supériorité en fait de connaissance.

Th. L’affectation de l’élégance et des bons mots a encore contribué beaucoup à cet embarras du langage ; car pour exprimer les pensées d’une manière belle et agréable, on ne fait point difficulté de donner aux mots par une manière de trope quelque sens un peu différent de l’ordinaire, qui soit tantôt plus général ou plus borné, ce qui s’appelle synecdoque, tantôt transféré suivant la relation des choses dont on change les noms, qui est ou de concours dans les métonymies, ou de comparaison dans les métaphores, sans parler de l’ironie, qui se sert d’un opposé à la place de l’autre. C’est ainsi qu’on appelle ces changements, lorsqu’on les reconnaît ; mais on ne les reconnaît que rarement. Et dans cette indétermination du langage, où l’on manque d’une espèce de lois qui règlent la signification des mots, comme il y en a quelque chose dans le titre des digestes du droit Romain de verborum significationibus, les personnes les plus judicieuses, lorsqu’elles écrivent pour des lecteurs ordinaires, se priveraient de ce qui donne de l’agrément et de la force à leurs expressions si elles voulaient s’attacher rigoureusement à des significations fixes des termes. Il faut seulement qu’elles prennent garde que leur variation ne fasse naître aucune erreur ni raisonnement fautif. La distinction des anciens entre la manière d’écrire exotérique, c’est-à-dire populaire, et l’acroamatique, qui est pour ceux qui s’occupent à découvrir la vérité, a lieu ici. Et, si quelqu’un voulait écrire en mathématicien dans la métaphysique ou dans la morale, rien ne l’empêcherait de le faire avec rigueur. Quelques-uns en ont fait profession et nous ont promis des démonstrations mathématiques hors des mathérnatiques ; mais il est fort rare qu’on y ait réussi. C’est, je crois, qu’on s’est dégoûté de la peine qu’il fallait prendre pour un petit nombre des lecteurs, où l’on pouvait demander comme chez Perse, quis leget hæc, et répondre : vel duo vel nemo. Je crois pourtant que, si on l’entreprenait comme il faut, on n’aurait point sujet de s’en repentir. Et j’ai été tenté de l’essayer.

§ 13. Ph. Vous m’accorderez cependant que les idées composées peuvent être formulaires et forts distinctes d’un côte, et fort obscures et fort confuses de l’autre.