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des mots

sorte qu’il n’y a rien en cela qui combatte et qui ne favorise plutôt le sentiment de l’origine commune de toutes les nations et d’une langue radicale et primitive. Si l’hébraïque ou l’arabesque y approche le plus, elle doit être au moins bien altérée, et il semble que le teuton a plus gardé du naturel, et (pour parler le langage de Jacques Boehm)[1] de l’adamique[2] : car, si nous avions la langue primitive dans sa pureté, ou assez conservée pour être reconnaissable, il faudrait qu’il y parût les raisons, des connexions soit physiques, soit d’une institution arbitraire, sage et digne du premier auteur. Mais, suposé que nos langues soient dérivatives, quant au fond elles ont néanmoins quelque chose de primitif en elles-mêmes, qui leur est survenu par rapport à des mots radicaux nouveaux, formés depuis chez elles par hasard, mais sur des raisons physiques. Ceux qui signifient les sons des animaux ou en sont venus en donnent des exemples. Tel est par exemple le latin coaxare, attribué aux grenouilles, qui a du rapport au couaquen ou quaken en allemand. Or il semble que le bruit de ces animaux est la racine primordiale d’autres mots de la langue germanique. Car, comme ces animaux font bien du bruit, on l’attribue aujourd’hui aux discours de rien et babillards, qu’on appelle quakeler en diminutif ; mais apparemment ce même mot, quaken était autrefois pris en bonne part et signifiait toute sorte de sons qu’on fait avec la bouche et sans en excepter la parole même. Et, comme ces sons ou bruits des animaux sont un témoignage de la vie, et qu’on connaît par là avant de voir qu’il y a quelque chose de vivant, de là est venu que quek, en vieux allemand, signifiait vie ou vivant, comme on le petit remarquer dans les plus anciens livres, et il y en a aussi des vestiges dans la langue moderne, car quecksilber est vif-argent, et erquicken est conforter et comme revivifier ou recréer après quelque défaillance ou quelque grand travail. On appelle aussi quaken en bas allemand certaines mauvaises herbes, vives pour ainsi dire et courantes, comme on parle en allemand, qui s’étendent et se propagent aisément dans

  1. Boehm (Jacob), célèbre mystique allemand, cordonnier à Gorliz, ne près de cette ville dans la haute Lusane, en 1575, mort en 1624. Ses principaux ouvrages sont : L’Aurora ou Aube naissante (1612) ; la Description des trois principes de l’essence divine (1619) ; Mysterium magnum ; Sgnatura rerum, etc. Il en a paru plusieurs éditions complètes à Amsterdam (1665, 1682, 1730). Saint-Martin a traduit plusieurs de ces ouvrages en français : l’Aurore naissante (Paris, 2 vol. in-8o, an VII) ; les Trois Principes de l’essence divine (2 vol. in-8o, Paris, an X), le Chemin pour aller au Christ (1 vol. in-12, Paris, 1822). P. J.
  2. Le langage d’Adam.