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des mots

par des accidents dans une même espèce physique ou tribu de génération ; mais on n’a point besoin de les déterminer ; on peut même les varier à l’infini, comme il se voit dans la grande variété des oranges, limons et citrons, que les experts savent nommer et distinguer. On le voyait de même dans les tulipes et œillets, lorsque ces fleurs étaient à la mode. Au reste, que les hommes joignent telles ou telles idées ou non, et même que la nature les joigne actuellement ou non, cela ne fait rien pour les essences, genres ou espèces, puisqu’il ne s’y agit que des possibilités, qui sont indépendantes de notre pensée.

§ 15. Ph. On suppose ordinairement une constitution réelle de l’espèce de chaque chose, et il est hors de doute qu’il y en doit avoir, d’où chaque amas d’idées simples ou qualités coexistantes dans cette chose doit dépendre. Mais comme il est évident que les choses ne sont rangées en sortes ou espèces sous certains noms, qu’en tant qu’elles conviennent avec certaines idées abstraites, auxquelles nous avons attaché ce nom-la, l’essence de chaque genre ou espèce vient ainsi à n’être autre chose que l’idée abstraite signifiée par le nom général ou spécifique ; et nous trouverons que c’est là ce qu’emporte le mot d’essence selon l’usage le plus ordinaire qu’on en fait. Il ne serait pas mal, à mon avis, de désigner, ces deux sortes d’essences par deux noms différents et d’appeler la première essence réelle et l’autre essence nominale.

Th. Il me semble que votre[1] langage innove extrêmement dans les manières de s’exprimer. On a bien parlé jusqu’ici de définitions nominales et causales ou réelles, mais non pas que je sache d’essences autres que réelles, à moins que par essences nominales on n’ait entendu des essences fausses et impossibles, qui paraissent être des essences, mais n’en sont point ; comme serait par exemple celle d’un décaèdre régulier, cest-à-dire d’un corps régulier, compris sous dix plans ou hèdres. L’essence dans le fond n’est autre chose que la possibilité de ce qu’on propose. Ce qu’on suppose possible est exprimé par la définition ; mais cette définition n’est que nominale, quand elle n’exprime point en même temps la possibilité, car alors on petit douter si cette définition exprime quelque chose de réel, c’est-à-dire de possible, jusqu’à ce que l’expérience vienne à notre secours pour nous faire connaître cette réalité à posteriori, lorsque la chose se trouve effec-

  1. Gehrardt : notre.