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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/362

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nouveaux essais sur l’entendement

noms, je tiens que la recherche des degrés de probabilité serait très importante et nous manque encore, et c’est un grand défaut de nos logiques. Car, lorsqu’on ne peut point décider absolument la question, on pourrait toujours déterminer le degré de vraisemblance ex datis, et par conséquent on peut juger raisonnablement quel parti est le plus apparent. Et, lorsque nos moralistes (j’entends les plus sages, tels que le général moderne des jésuites) joignent le plus sûr avec le plus probable, et préfèrent même le sûr au probable[1], ils ne s’éloignent point du plus probable en effet ; car la question de la sûreté est ici celle du peu de probabilité d’un mal à craindre. Le défaut des moralistes relâchés[2] sur cet article a été, en bonne partie, d’avoir eu une notion trop limitée et trop insuffisante du probable, qu’ils ont confondue avec l’eudoxe ou opinable d’Aristote ; car Aristote, dans ses Topiques, n’y a voulu que s’accommoder aux opinions des autres, comme faisaient les orateurs et les sophistes. Eudoxe, lui est ce qui est reçu du plus grand nombre ou des plus autorisés ; il a tort d’avoir restreint ses Topiques à cela, et cette vue a fait qu’il ne s’y est attaché qu’à des maximes reçues, la plupart vagues, comme si on ne voulait raisonner que par quolibets ou proverbes. Mais le probable ou le vraisemblable est plus étendu : il faut le tirer de la nature des choses ; et l’opinion des personnes dont l’autorité est de poids, est une des choses qui peuvent contribuer à rendre une opinion vraisemblable, mais ce n’est pas ce qui achève toute la vérisimilitude. Et, lorsque Copernic était presque seul de son opinion, elle était toujours incomparablement plus vraisemblable que celle de tout le reste du genre humain. Or je ne sais si l’établissement de l’art d’estimer les vérisimilitudes ne serait plus utile qu’une bonne partie de nos sciences démonstratives, et j’y ai pensé plus d’une fois.

Ph. La connaissance sensitive, ou qui établit l’existence des êtres particuliers hors de nous, va au delà de la simple probabilité ; mais elle n’a pas toute la certitude des deux degrés de connaissance dont on vient de parler. Que l’idée que nous recevons d’un objet exté-

  1. On distingue dans la théologie morale plusieurs opinions : 1o Le probabilisme qui autorise à agir suivant une opinion probable, lors même qu’elle le serait moins qu’une autre ; 2o le probabiliorisme qui conseille de n’agir que suivant l’opinion la plus probable ; 3o le tutiorisme qui conseille de choisir le parti le plus sûr, c’est-à-dire où on risque le moins ; par exemple, il est toujours plus sûr de prendre le parti le plus sévère. Voir une dissertation de Nicole extraite de la traduction latine des Provinciales.
  2. Ce sont les casuistes réfutés par Pascal.