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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/363

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de la connaissance

rieur soit dans notre esprit, rien n’est plus certain, et c’est une connaissance intuitive : mais de savoir si de là nous pouvons inférer certainement l’existence d’aucune chose hors de nous qui corresponde à cette idée, c’est ce que certaines gens croient qu’on peut mettre en question, parce que les hommes peuvent avoir de telles idées dans l’esprit, lorsque rien de tel n’existe actuellement. Pour moi, je crois pourtant qu’il y a un degré d’évidence qui nous élève au-dessus du doute. On est invinciblement convaincu qu’il y a une grande différence entre les perceptions qu’on a, lorsque le jour on vient à regarder le soleil, et lorsque la nuit on pense à cet astre ; et l’idée qui est renouvelée par le secours de la mémoire est bien différente de celle qui nous vient actuellement par le moyen des sens. Quelqu’un dira qu’un songe peut faire le même effet ; je réponds premièrement qu’il n’importe pas beaucoup que je lève ce doute, parce que si tout n’est que songe, les raisonnements sont inutiles, la vérité et la connaissance n’étant rien du tout. En second lieu, il reconnaîtra a mon avis la différence qu’il y a entre songer d’être dans un feu et y être actuellement. Et, s’il persiste à paraître sceptique, je lui dirai que c’est assez que nous trouvons certainement que le plaisir ou la douleur suivent l’application de certains objets sur nous, vrais ou songes, et que cette certitude est aussi grande que notre bonheur ou notre misère ; deux choses au delà desquelles nous n’avons aucun intérêt. Ainsi je crois que nous pouvons compter trois sortes de connaissances : l’intuitive, la démonstrative, et la sensitive.

Th. Je crois que vous avez raison, Monsieur, et je pense même qu’à ces espèces de la certitude, ou à la connaissance certaine, vous pourriez ajouter la connaissance du vraisemblable ; ainsi il y aura deux sortes de connaissances comme il y a deux sortes de preuves, dont les unes produisent la certitude, et les autres ne se terminent qu’a la probabilité. Mais venons à cette querelle que les sceptiques font aux dogmatiques sur l’existence des choses hors de nous. Nous y avons déjà touché. Mais il faut y revenir ici. J’ai fort disputé autrefois la-dessus de vive voix et par écrit, avec feu M. l’abbé Foucher[1], chanoine de Dijon, savant homme et subtil, mais un peu

  1. Foucher (l’abbé), né à Dijon en 1644, mort à Paris en 1696. Il soutenait la philosophie académique, c’est-à-dire le doute, à la manière de Cicéron. Ses principaux ouvrables sont Dissertation sur la recherche de la vérité, ou sur la Philosophie des Académiciens, Paris, in-12 ; Critique de la recherche de la vérité (du P. Malebranche) ; in-12, Paris, 1675 ; de la Sagesse des Anciens, in-12, Paris, 1682.