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réflexions sur l’essais de locke

d’être toujours en nous, car ces objets peuvent subsister, lorsqu’on ne s’en aperçoit point. On peut encore diviser les idées et les vérités en primitives et dérivatives : les connaissances des primitives n’ont point besoin d’être formées ; il faut les distinguer seulement ; celles des dérivatives se forment seulement par l’entendement et par le raisonnement dans les occasions. Cependant on peut dire, en un sens, que les objets internes de ces connaissances, c’est-à-dire les idées et les vérités mêmes, tant primitives que dérivatives, sont toutes en nous, puisque toutes les idées dérivatives et toutes les vérités qu’on en déduit résultent des rapports des idées primitives qui sont en nous. Mais l’usage fait qu’on a coutume d’appeler nées avec nous les vérités à qui on donne créance aussitôt qu’on les entend, et les idées dont la réalité (c’est-à-dire la possibilité de la chose qu’elles représentent) est du nombre de ces vérités et n’a point besoin d’être prouvée par l’expérience ou par la raison ; il y a donc assez d’équivoque dans cette question, et il suffit dans le fond de reconnaître qu’il y a une lumière interne née avec nous, qui comprend toutes les idées intelligibles et toutes les vérités nécessaires qui ne sont qu’une suite de ces idées et n’ont point besoin de l’expérience pour être prouvées.

Pour réduire donc cette discussion à quelque utilité, je crois que le vrai but qu’on y doit avoir est de déterminer les fondements des vérités et leur origine. J’avoue que les vérités contingentes ou de fait nous viennent par l’observation et par l’expérience ; mais je tiens que les vérités nécessaires dérivatives dépendent de la démonstration, c’est-à-dire des définitions ou idées, jointes aux vérités primitives. Et les vérités primitives (telles que le principe de la contradiction) ne viennent point des sens ou de l’expérience et n’en sauraient être prouvées parfaitement, mais de la lumière naturelle interne, et c’est ce que je veux, en disant qu’elles sont nées avec nous. C’est ce que les géomètres aussi ont fort bien compris. Ils pouvaient prouver passablement leurs propositions (au moins les plus importantes) par l’expérience, et je ne doute point que les anciens Égyptiens et les Chinois n’aient eu une telle géométrie expérimentale. Mais les géomètres véritables, surtout les Grecs, ont voulu montrer la force de la raison et l’excellence de la science, en faisant voir qu’on petit tout prévoir en ces matières par les lumières internes avant l’expérience. Aussi faut-il avouer que l’expérience ne nous assure jamais d’une parfaite universalité, et encore moins de