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nouveaux essais sur l’entendement

science de l’Être en général, qui en explique les principes et les affections qui en émanent ; que les principes de l’Être sont l’essence et l’existence ; et que les affections sont ou primitives, savoir, l’un, le vrai, le bon ; ou dérivatives, savoir le même et le divers, lé simple et le composé, etc., et en parlant de chacun de ces termes, ne donner que des notions vagues et des distinctions de mots, c’est bien abuser du nom de science. Cependant, il faut rendre cette justice aux scolastiques plus profonds, comme Suarez[1] (dont Grotius[2] faisait si grand cas), de reconnaître qu’il y a quelquefois chez eux des discussions considérables, comme sur le continuum, sur l’infini, sur la contingence, sur la réalité des abstraits, sur le principe de l’individuation, sur l’origine et le vide des formes, sur l’âme et sur ses facultés, sur le concours de Dieu avec ses créatures, etc., et même en morale, sur la nature de la volonté et sur les principes de la justice ; en un mot, il faut avouer qu’il y a encore de l’or dans ces scories, mais il n’y a que des personnes éclairées qui en puissent profiter ; et de charger la jeunesse d’un fatras d’inutilités, parce qu’il y a quelque chose de bon par-ci par-là, ce serait mal ménager la plus précieuse de toutes les choses, qui est le temps. Au reste, nous ne sommes pas tout à fait dépourvus de propositions générales sur les substances, qui soient certaines et qui méritent d’être sues. Il y a de grandes et belles vérités sur Dieu et sur l’âme, que notre habile auteur a enseignées ou de son chef, ou en partie après d’autres. Nous y avons peut-être ajouté quelque chose aussi. Et quant aux connaissances générales touchant les corps, on en ajoute d’assez considérables à celles qu’Aristote avait laissées, et l’on doit dire que la physique, même la générale, est devenue bien plus réelle qu’elle n’était auparavant. Et quant à la métaphysique réelle, nous commençons quasi à l’établir, et nous trouvons des vérités importantes fondées en raison et confirmées par l’expérience, qui appartiennent aux substances en général. J’espère aussi d’avoir avancé un peu la connaissance générale de l’âme et des esprits. Une telle métaphysique est ce qu’Aristote demandait, c’est la science qui s’appelle chez lui

  1. Suarez (F.), jésuite, théologien célèbre, né à Grenade en 1548, mort en 1617. C’est, on peut le dire, le dernier des scholastiques On a de lui des Metaphysicarum disputationum libri duo (in-fo, Londres, 1679). P. J.
  2. Grotius (Hugo de Groop), illustre jurisconsulte, ne à Delft en Hollande, le 10 avril 1583, mort à Ractock en 1645. Son principal écrit est son De Jure pacis et blili, traduit en français par Barbeyrac. P. J.