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nouveaux essais sur l’entendement

tériel) d’une cause générale et suprême, parce qu’autrement, comme l’auteur, le remarque très bien, étant indépendants les uns des autres, ils ne pourraient jamais produire cet ordre, cette harmonie, cette beauté qu’on remarque dans la nature. Mais cet argument, qui ne paraît être que d’une certitude morale, est poussé à une nécessité tout à fait métaphysique par la nouvelle espèce d’harmonie que j’ai introduite, qui est l’harmonie préétablie. Car chacune de ces âmes exprimant à sa manière ce qui se passe au dehors et ne pouvant avoir aucune influence sur les autres êtres particuliers, ou plutôt, devant tirer cette expression du propre fond de sa nature, il faut nécessairement que chacun ait reçu cette nature (ou cette raison interne des expressions de ce qui est au dehors) d’une cause universelle, dont ces êtres dépendent tous, et qui fasse que l’un soit parfaitement d’accord et correspondant avec l’autre ; ce qui ne se peut sans une connaissance et puissance infinies, et par un artifice grand par rapport surtout au consentement spontané de la machine avec les actions de l’âme raisonnable, qu’un illustre auteur, qui fit des objections à l’encontre dans son merveilleux dictionnaire (1), douta quasi s’il ne passait pas toute la sagesse possible, en disant que celle de Dieu ne lui paraissait point trop grande pour un tel effet, et reconnut au moins qu’on n’avait jamais donné un si grand relief aux faibles conceptions que nous pouvons avoir de la perfection divine.

§ 12. Ph. Que vous me réjouissez par cet accord de vos pensées avec celles de mon auteur ! J’espère que vous ne serez point fâché, Monsieur, que je vous rapporte encore le reste de son raisonnement sur cet article. Premièrement, il examine si l’être pensant, dont tous les autres êtres intelligents dépendent (et par plus forte raison tous les autres êtres) est matériel ou non ? § 13. Il s’objecte qu’un être pensant pourrait être matériel. Mais il répond que, quand cela serait, c’est assez que ce soit un être éternel, qui ait une science et une puissance infinie. De plus, si la pensée et la matière peuvent être séparées, l’existence éternelle de la matière ne sera pas une suite de l’existence éternelle d’un être pensant. § 14. On demandera encore à ceux qui font Dieu matériel, s’ils croient que chaque partie de la matière pense. En ce cas, il s’ensuivra qu’il y aurait autant de dieux que de particules de la matière. Mais, si chaque partie de la matière ne pense point, voila encore un être pensant composé de