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Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/437

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de la connaissance

sement est douter par rapport à la pratique, et l’on pourrait prendre la certitude pour une connaissance de la vérité avec laquelle on n’en peut point douter par rapport à la pratique sans folie ; et quelquefois on la prend encore plus généralement et on l’applique aux cas où l’on ne saurait douter sans mériter d’être fort blâmé. Mais l’évidence serait une certitude lumineuse, c’est-à-dire ou l’on ne doute point à cause de la liaison qu’on voit entre les idées. Suivant cette définition de la certitude, nous sommes certains que Constantinople est dans le monde, que Constantin et Alexandre le Grand et que Jules César ont vécu. Il est vrai que quelque paysan des Ardennes en pourrait douter avec justice, faute d’information ; mais un homme de lettres et du monde ne le pourrait faire sans un grand dérèglement d’esprit.

§ 11. Ph. Nous sommes assurés véritablement par notre mémoire de beaucoup de choses qui sont passées, mais nous ne pourrons pas bien juger si elles subsistent encore. Je vis hier de l’eau et un certain nombre de belles couleurs sur des bouteilles, qui se formèrent sur cette eau. Maintenant je suis certain que ces bouteilles ont existé aussi bien que cette eau, mais je ne connais pas plus certainement l’existence présente de l’eau que celle des bouteilles, quoique la première soit infiniment plus probable, parce qu’on a observé que l’eau est durable et que les bouteilles disparaissent. § 12. Enfin hors de nous et de Dieu nous ne connaissons d’autres esprits que par la révélation et n’en avons que la certitude de la foi.

Th. Il a été remarqué déjà que notre mémoire nous trompe quelquefois. Et nous y ajoutons foi ou non, selon qu’elle est plus ou moins vive, et plus ou moins liée avec les choses que nous savons. Et quand même nous sommes assurés du principal, nous pouvons souvent douter des circonstances. Je me souviens d’avoir connu un certain homme, car je sens que son image ne m’est point nouvelle, non plus que sa voix ; et ce double indice m’est un meilleur garant que l’un des deux, mais je ne saurais me souvenir où je l’ai vu. Cependant il arrive, quoique rarement, qu’on voit une personne en songe, avant de la voir en chair et en os. Et on m’a assuré qu’une demoiselle d’une cour connue vit en songeant et dépeignit à ses amies celui qu’elle épousa depuis, et la salle où les fiançailles se célébrèrent ; ce qu’elle fit avant d’avoir vu et connu ni l’homme ni le lieu. On l’attribuait à je ne sais quel pressentiment secret ; mais le hasard peut produire cet effet, puisqu’il est assez rare que cela