Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
408
nouveaux essais sur l’entendement

sentir s’il en doute. Et en écrivant ceci, je vois que je puis changer les apparences du papier et dire par avance quelle nouvelle idée il va présenter à l’esprit : mais, quand ces caractères sont tracés, je ne puis éviter de les voir, tels qu’ils sont, outre que la vue de ces caractères fera prononcer à un autre homme les mêmes sons. § 8. Si quelqu’un croit que tout cela n’est qu’un long songe, il pourra songer, s’il lui plaît, que je lui fais cette réponse, que notre certitude fondée sur le témoignage des sens est aussi parfaite que notre nature le permet et que notre condition le demande. Qui voit brûler une chandelle et éprouve la chaleur de la flamme qui lui fait du mal s’il ne retire le doigt, ne demandera pas une plus grande certitude pour régler son action, et si ce songeur ne le faisait, il se trouverait éveillé. Une telle assurance nous suffit donc, qui est aussi certaine que le plaisir ou la douleur, deux choses au delà desquelles nous n’avons aucun intérêt dans la connaissance ou existence des choses. § 9. Mais, au delà de notre sensation actuelle, il n’y a point de connaissance, et ce n’est que vraisemblance, comme lorsque je crois qu’il y a des hommes dans le monde ; en quoi il y a une extrême probabilité, quoique maintenant, seul dans mon cabinet, je n’en voie aucun. § 10. Aussi serait-ce une folie d’attendre une démonstration sur chaque chose et de ne point agir suivant les vérités claires et évidentes, quand elles ne sont point démontrables. Et un homme qui voudrait en user ainsi ne pourrait s’assurer d’autre chose que de périr en fort peu de temps.

Th. J’ai déjà remarqué dans nos conférences précédentes que la vérité des choses sensibles se justifie par leur liaison, qui dépend des vérités intellectuelles, fondées en raison, et des observations constantes dans les choses sensibles mêmes, lors même que les raisons ne paraissent pas. Et, comme ces raisons et observations nous donnent moyen de juger l’avenir par rapport à notre intérêt et que le succès répond à notre jugement raisonnable, on ne saurait demander ni avoir même une plus grande certitude sur ces objets. Aussi peut-on rendre raison des songes mômes et de leur peu de liaison avec d’autres phénomènes. Cependant je crois qu’on pourrait étendre l’appellation de la connaissance et de la certitude au delà des sensations actuelles, puisque la clarté et l’évidence vont au delà, que je considère comme une espèce de la certitude : et ce serait sans doute une folie de douter sérieusement s’il y a des hommes au monde, lorsque nous n’en voyons point. Douter sérieu-