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de la connaissance

qu’il y ait une figure à trois côtés, cette même figure aura trois angles. Je dis cette même, et c’est en quoi les propositions catégoriques, qui peuvent être énoncées sans condition, quoiqu’elles soient conditionnelles dans le fond, diffèrent de celles qu’on appelle hypothétiques, comme serait cette proposition : si une figure a trois côtés, ses angles sont égaux à deux droits, où l’on voit que la proposition antécédente (savoir, la figure de trois côtés) et la conséquente (savoir, les angles de la figure de trois côtés sont égaux à deux droits), n’ont pas le même sujet, comme elles l’avaient dans le cas précédent, où l’antécédent était, cette figure est de trois côtés, et le conséquent, ladite figure est de trois angles ; quoique encore l’hypothétique souvent puisse être transformée en catégorique, mais en changeant un peu les termes, comme si au lieu de l’hypothétique précédente, je disais : les angles de toute figure à trois côtés sont égaux à deux droits. Les scolastiques ont fort disputé de constantia subjecti, comme ils l’appelaient, c’est-à-dire comment la proposition faite sur un sujet peut avoir une vérité réelle, si ce sujet n’existe point. C’est que la vérité n’est que conditionnelle et dit qu’en cas que le sujet existe jamais, on le trouvera tel. Mais on demandera encore : en quoi est fondée cette connexion, puisqu’il y a de la réalité là-dedans qui ne trompe pas ? La réponse sera qu’elle est dans la liaison des idées. Mais on demandera en répliquant : où seraient ces idées, si aucun esprit n’existait, et que deviendrait alors le fondement réel de cette certitude des vérités éternelles ? Cela nous mène enfin au dernier fondement des vérités, savoir à cet esprit suprême et universel, qui ne peut manquer d’exister, dont l’entendement, à dire vrai, est la région des vérités éternelles, comme saint Augustin [1] l’a reconnu, et l’exprime d’une manière assez vive. Et, afin qu’on ne pense pas qu’il n’est point nécessaire d’y recourir, il faut considérer que ces vérités nécessaires contiennent la raison déterminante et le principe régularité des existences mêmes et, en un mot, les lois de l’univers. Ainsi ces vérités nécessaires étant antérieures aux existences des êtres contingents, il faut bien qu’elles soient fondées dans l’existence d’une

  1. Saint Augustin, illustre père de l’Église latine, né in Tagaste en Afrique en 354. Tout le monde connaît l’histoire de sa conversion, racontée par lui dans ses Confessions ; évêque d’Hippone en 395, Il combattit énergiquement les Manichéens, les Donatistes et les Pélagiens. Son nom est resté attaché à la doctrine de la grâce. Ses œuvres complètes ont été publiées par les Bénédictins en 1677-1700.