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de la connaissance

de jugement n’en ferait pas plus de cas que du bruit des oisons. Des jurisconsultes ont écrit de fide historica ; mais la matière mériterait une plus exacte recherche, et quelques-uns de ces messieurs ont été trop indulgents. Pour ce qui est de la grande antiquité, quelques-uns des faits les plus éclatants sont douteux. Des habiles gens ont douté avec sujet si Romulus a été le premier fondateur de la ville de Rome. On dispute sur la mort de Cyrus, et d’ailleurs l’opposition entre Hérodote et Ctésias a répondu des doutes sur l’histoire des Assyriens, Babyloniens et Persans. Celle de Nabuchodonosor, de Judith et même de l’Assuérus d’Esther souffre de grandes difficultés. Les Romains en parlant de l’or de Toulouse contredisent à ce qu’ils racontent de la défaite des Gaulois par Camille. Surtout l’histoire propre et privée des peuples est sans crédit, quand elle n’est point prise des originaux fort anciens, ni assez conforme à l’histoire publique. C’est pourquoi ce qu’on nous raconte des anciens Rois germains, gaulois, britanniques, écossais, polonais, et autres, passe avec raison pour fabuleux et fait à plaisir. Ce Trébéta, fils de Ninus, fondateur de Trèves ; ce Brutus, auteur des Britons ou Brittains, sont aussi véritables que les Amadis. Les contes pris de quelques fabulateurs, que Trithémius[1], Aventin[2], et même Albinus[3], Sifrid Petri[4] ont pris la liberté de débiter des anciens princes Francs, Boïens, Frisons ; et ce que Saxon le Grammairien et l’Edda nous racontent des antiquités reculées du Septentrion, ne saurait avoir plus d’autorité que ce que dit Kadlubko[5], premier historien polonais d’un de leurs rois, gendre de Jules César. Mais quand les histoires des différents peuples se rencontrent dans les cas où il n’y a pas d’apparence que l’un ait copié l’autre, c’est un grand indice de la vérité. Tel est l’accord d’Hérodote avec l’histoire du Vieux Testament en bien des choses ; par exemple lorsqu’il parle de la bataille de Mégiddo entre le roi d’Égypte et les Syriens de la Palestine, c’est-à-dire les Juifs, où, suivant le rapport de l’histoire sainte, que nous avons des Hébreux, le roi Josias fut blessé mortellement. Le consentement encore des historiens arabes, persans et turcs avec les grecs, romains et autres occidentaux, fait plaisir à ceux qui

  1. Trithémius (Johann), 1452-1516. — Son principal ouvrage est le Compendium, sive Breviarium de origine rerum et gestis Francorum, 1515.
  2. Aventinus (Johann), 1466-1534, auteur des Annales Boiorum.
  3. Alcuin (Albinus), 735-804, Alcuini Opera, Ratisbonne, 1777.
  4. Petri (Sigfried), 1527-1597, De Frisorum Origine ; Cologne, 1590.
  5. Kadlubko, 1161-1223, Historia polonica, 1612.